Épisode 20
Lara avait réuni tout le monde au salon pour un briefing.
Talé sur le canapé, Winston se versa un verre de Johnnie Walker. Assise à côté de lui, Laurine sirotait un Coca avec une paille. Dans les fauteuils, Claire avalait par petites gorgées un White Spirit renforcé à la glycérine, Séraphine dégustait un lait fraise aromatisé au Ricard.
Debout devant la télé éteinte, des gouttes d'eau encore dans les cheveux, le maillot trempé collant aux lolos, le short mouillassé, Lara envoya d'une voix de directrice de pensionnat :
— Bon, procédons par méthode ! A mon avis, et j'ai le flair pour ça, quelque chose se prépare, mais je ne sais pas quoi ! Donc, ne sachant pas quoi, il va falloir anticiper et prendre des mesures préventives !
— C'est quoi, des mesures préventives ? demanda Laurine.
— Des mesures préventives, ma puce, c'est quand un vilain écureuil vole les carottes dans le terrier du lapin, alors le lapin ferme son terrier à clé pour que plus personne entre dedans.
— Oui, mais comment il fait pour manger des carottes, le lapin, si il peut plus aller dans son terrier manger des carottes ?
— Mais il reste dans son terrier avec ses carottes, ma puce, avec un fusil et le premier vilain écureuil qui pointe le bout de son nez, il lui explose la gueule !
Lara avait crié les derniers mots, le visage taggué par une rougeur colérique.
— Euh c'est bon, lui souffla Claire, calme-toi !
— Ah oui, excuse ! Mais ça m'énerve quand je ne suis pas maître chez moi ! Bon, reprenons, alors toi, Séraphine, tu vérifies si toutes les fenêtres sont bien fermées, il y a un clip en bas, tu le tournes et c'est verrouillé. Elles sont blindées et les vitres à l'épreuve des balles.
Un goût de lait fraise au Ricard sur la langue, Séraphine demanda, les couettes étonnées :
— Mais je lave plus les fenêtres, alors ?
— Dis, lança Claire, t'es débile ou quoi ?
— Naaan ! répliqua Laurine. Tata Séraphine elle est pas débile, parce qu'elle veut que les fenêtres elles sont propres, comme ça on peut voir dehors qui vient, parce que si les fenêtres elles sont pas propres, on voit rien. Et na !
— Ouais, approuva Séraphine, tu as raison, Laurine, bien raisonné, t'as vu, Claire, c'est toi qui es débile.
Laurine tira la langue à Claire.
Lara tapa plusieurs fois dans ses mains pour attirer l'attention.
— Je peux continuer, oui ? Merci ! Bon, Claire, tu prépares les armes, du léger, des Desert Eagle, des FM, et si jamais ça chauffe vraiment, on utilisera les grenades et les bazookas. Moi je vérifie sur mon pc les mouvements suspects dans le manoir, j'ai fait installer un système.
— Et pour le bal costumé ? demanda Séraphine.
— Tu crois vraiment que c'est le moment de se costumer ? Toi alors, t'en rates pas une ! envoya Claire avant de s'esclaffer.
Laurine la fixa avec des yeux ronds et furieux.
— Arrête de rigoler comme une vieille gribouille, tata Séraphine a raison, parce que si on se déguise avec des costumes, alors les vilains zécureuils ils pourront pas nous reconnaître et on sera zinvisible, et alors on pourra mieux leur zexploser la gueule. Na !
— Vous faites bien la paire ! envoya Claire en se tenant les côtes. Wouarf !
Winston termina de vider son verre et articula d'une voix Johnnie Walkereuse mais cependant suffisamment stylée pour qu'on puisse deviner une éducation d'ex-majordome :
— Si vous me permettez une petite remarque, lady Croft, ne serait-il pas plus approprié d'alerter les autorités car si nous sommes attaqués…
Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Une série de klaxons hystériques se fit entendre.
— Qui ça peut être ? demanda Lara en filant voir à la fenêtre.
Corinne sauta de sa buggy décapotable rose sur le sol, l'aile droite cabossée, une main vissée sur le goulot d'une canette 33 cl de 1664 à moitié pleine.
— Oups ! fit-elle en vacillant. Y'a de la houle sur le pont, capitaine !
Elle la vida d'un trait et la balança sur la pelouse.
Puis elle se dirigea en dodelinant vers l'entrée sur ses hauts talons, la mini robe décolletée chaloupante, un boa en plumes roses enroulé autour du cou. Ajusta sur sa tête sa perruque rose à la France Gall dans "Poupée de cire poupée de son", qui avait tendance à glisser en arrière, à force de pencher la tête en arrière pour s'abreuver, et arracha presque la sonnette en criant :
— Houhou… Y'a quelqu'un ?… C'est moi !… Houhou…
Lara avait à peine ouvert la porte, Corinne lui sauta au cou et lui smoutcha une bise baveuse parfumée au houblon sur la joue.
— Salut ma grande, comment ça va ?… Toujours aussi belle… Dis donc, tu es trempée, t'as de nouveau fait du sport, tu devrais essayer mon déo, il est super anti-transpiration, je le mets pour aller danser en discothèques, et je danse jusqu'à l'aube sans une goutte… Elodys m'a dit que Laurine était chez toi, et comme je passais dans le coin, je suis venue faire un petit coucou…
Elle déboula dans le salon et envoya à Laurine qui faisait des bulles en soufflant avec sa paille dans son Coca :
— Bonjour ma louloute, c'est tata Corinne ! (Et voyant Claire et Séraphine

Oh tu as de la visite, j'espère que je ne dérange pas ?
Lara leur fit un signe discret. Elles se levèrent et filèrent dans le couloir.
— J'espère que je ne les chasse pas, s'inquiéta Corinne.
— Mais non, elles ont un travail urgent à faire !
Corinne s'installa dans un fauteuil.
— Ah Winston ! Je ne vous avais pas reconnu, vous n'êtes pas dans votre habit, c'est pour ça. Servez-moi un petit drink !
— Winston n'est plus majordome, expliqua Lara, tu n'aurais pas du venir…
Corinne s'emparera de la bouteille de Johnnie Walker aux trois quarts vides et avala le dernier quart, le goulot vissé dans la bouche.
Puis elle reposa la bouteille sur la table, afficha un sourire bienheureux et s'écroula dans un sommeil ronflant.
— Je crois que tata Corinne elle est pin-pon, chantonna Laurine.
Pendant que Séraphine filait au grenier verrouiller les lucarnes, Claire s'arrêta devant la porte de l'armurerie, regarda le boîtier avec le code à composer, réfléchit quelques secondes et retourna au salon.
Winston louchait sur le décolleté et les jambes de Corinne endormie dans le fauteuil, les yeux clignotants. Il s'affala sur le canapé et ronfla, la bouche ouverte, le dentier agité par les soufflades.
— Y'a la momie elle est aussi pin-pon, rigola Laurine.
Claire la pris par la main, l'entraîna dans le couloir et fila vers le bureau.
Lara était assise devant son pc et pianotait sur le clavier.
— Dis, lança Claire, je pense que ce serait mieux que j'emmène Laurine à Londres chez moi. Elle y serait plus en sécurité, tu ne crois pas ?
— Figure-toi que c'est la première chose à laquelle j'ai pensé, mais c'est impossible, dit Lara en fixant l'écran.
— Ah et pourquoi ?
Lara se retourna, une lueur d'angoisse dans les yeux.
— Je ne voulais pas en parler avant, j'ai fait semblant de ne rien savoir, vous le saurez bien assez tôt. Nous sommes enfermés.
— Comment ça ?
— On ne peut pas sortir au-delà des murs du manoir. Une sorte de bulle invisible nous entoure. On est isolé.
— Mais comment tu sais ça ? Tu l'as vu ?
— C'est le moine Blue qui me l'a dit.
— Le moine Blue ? s'exclama Claire. Il est venu ? Mais quand ?
— Je poursuivais la main dans le verger, il était assis sur la branche d'un arbre, il m'attendait. Sa confrérie a capté un flot d'ondes puissantes anormales. La porte des enfers a été ouverte, mais pas celle du frigo, celle-là est définitivement close. Il s'agit d'une autre située dans le labyrinthe. Le diable va revenir cette nuit avec son armée.
Claire resta figée sur place. Elle lâcha la main de Laurine.
— Et il est où, le moine Blue ? Il va nous aider ?
— Je ne sais pas. Tu sais qu'il est juste observateur, il n'a pas le droit d'intervenir.
— Mais on fait quoi alors ?
— On se prépare, sinon j'ai passé tout le manoir au détecteur de mouvement, et apparemment les seuls mouvements importants, mis à part des araignées et autres insectes, ce qui est normal, se situent au grenier.
— Oui, c'est Séraphine, elle ferme les lucarnes.
— Non, le système peut déterminer la taille et la forme, c'est des mouvement plus petits.
— Des mains ? s'écria Claire.
— Non, juste des rats.
Séraphine sursauta au moment où elle fermait une lucarne. Quelque chose de doux et de soyeux passa entre ses chevilles légèrement écartées.
Elle poussa un cri en voyant un gros rat noir avec une touffe blanche sur le ciboulot qui, en la voyant, son museau frétillant levé vers sa petite culotte, resta figé sur place.
Séraphine sauta en arrière, ses jolies jambes satinées sautantes, ses couettes sautillantes.
Le rat détala dans un coin du grenier et se réfugia sous une vieille armoire.
— Je suis habituée aux monstres tout gluants, se dit-elle, mais alors les rats, je ne m'y ferai jamais.
Le rat passa son museau frétillant sous l'armoire et la lorgna avec deux petits cœurs roses palpitant dans ses zoeils noirs.
Les lucarnes verrouillées, elles aussi blindées à l'épreuve des balles, Séraphine ferma la porte du grenier à clé et redescendit au premier étage. Elle commença par la chambre de Lara, passa dans le salon de musique, les chambres d'amis, et regagna le rez-de-chaussée.
Après avoir verrouillé toutes les fenêtres, elle retrouva tout le monde au salon.
Winston avait ouvert une paupière, l'autre se levait comme un store au ralenti. Lara secoua Corinne pour la réveiller. Claire fit signe à Séraphine de venir s'asseoir. Laurine sirotait un Coca avec la paille et faisait des bulles en soufflant dedans.
— Bon, commença Lara, je vais vous expliquer la situation…
Au fur et à mesure des infos révélées, les couettes de Séraphine se dressaient en l'air. Winston demeurait impassible, passant sa langue sur son dentier sec. Les faux cils de Corinne clignèrent plusieurs fois dans un mouvement de clignements mouvementés.
— Donc voilà , conclut Lara, je compte sur vous pour assurer cette nuit, en espérant que tout se passera bien.
— Super giga méga génial ! s'exclama Séraphine. Il y aura des monstres tout gluants !
Claire secoua sa tête et lui décocha un regard sombre.
— Je ne sais pas si tu te rends bien compte de la situation.
— M'enfin, on va les zigouiller comme d'hab, rétorqua Séraphine, ce sera un jeu d'enfant.
— Moi aussi je veux zigouiller des monstres tout gluants, chanta Laurine. Et puis je les taperai avec un bâton, et je les attacherai avec une ficelle, et je les emmènerai à la police.
Corinne leva la main et articula, pas rassurée du tout :
— Mais c'est le vrai diable qui va venir ? Et c'est quoi, au juste, ces monstres tout gluants ?