par Phantom_Blue » 14 Fév 2008, 13:35
Mes longues canines pointues, divinement nacrées, s’enfoncent dans la chair onctueuse du cou de Clark Kent. Depuis le temps que je voulais me le mordre. Je kiffe trop son air de gamin attardé léger débilos mais si attendrissant. D’hab je mords les bad boys en costards cravates, des dealers super friqués qu’ont des bureaux high-tech dans les gratte-ciel de Manhattan et roulent en Lamborghini. Mais de temps à autre je m’offre ce que j’appelle ma friandise exceptionnelle : un garçon BCBG timide et ringard zamoureux en secret de la queen du lycée. Slurp ! Inutile de résister, Clarkounet chéri, même tes super-pouvoirs ne peuvent rien contre moi. Je suis Red-Cherry la vampirette la plus sanglante de toute la planète du monde. Trop bon de sentir tes forces s’abandonner dans mes griffes pendant que je suce ton sang doux et sucré. Super slurp !
Trop génial le rêve ! J’étire mon corps de vampirette dans mon lit cercueil acheté chez Gothic House. Maman elle voulait pas, mais je lui ai dit : « Si tu me l’achètes pas, je te parle plus jamais jusqu’à la fin de ma vie dans l’éternité ! » Elle a fini par céder, de toute façon elle avait pas trop le choix. Mon psy il lui a dit : « Ne vous inquiétez pas, madame, tout cela est très naturel et fait partie de son expression du Moi en pleine croissance. Contrarier l’imagination de votre fille risquerait de nuire à son développement intérieur et perturber son épanouissement psychologique de femme ! » Ouais, parce qu’une fille ça s’épanouit psychologique en femme, mais comme je suis une vampirette de 14 ans, moi je m’épanouirai en super vampire féminine hyper sexy love comme Selene dans Underworld. Et gare à ta gueule à la récré si tu me crois pas !
La première chose que je fais après mon réveil le matin, c’est de kisser à donf les posters de Marilyn Manson. Trop sexy blood en Christ dans « It’s a long hard road out of hell ». Et bizarro troublant en drag-queen androgyne dans « Mechanical animals ». Et bordeline bourge trop classe avec son look fashion dans « Tainted love». Maman elle dit que c’est une erreur génétique échappée d’un laboratoire. Mais maman, à part les chansons kitsch du hit parade allemand du style « Ich will dich immer lieben » chantées par des poufiasses de pensionnat en costumes folkloriques de la Forêt-Noire, sa lamentable culture musicale désertique s’arrête là où la mienne prend son essor dans toute sa gloire. Y’a pas photo, désolé maman de te plonger dans un océan de larmes atrocement douloureuses, mais je reste sur ma position. Y’a des principes ados que vous les zadultes vous ne pourrez jamais comprendre. Et aujourd’hui j’ai kissé avec une ardeur d’intensité particulièrement méga giga folle ! Normal, on est le 14 février, et le 14 février c’est la fête des zamoureux. Et je suis follement zamoureuse de Marilyn Manson, comme vous avez pu le remarquer.
Puis je mets du metal punk rock fusion sur ma mini chaîne hifi 20 watts, j’ai nommé : Marilyn Manson ! Le seul, l’unique, le vrai ! Je peux pas employer le diminutif : « Mama », ça me ferait trop penser à maman. Elle pourrait pas changer de nom ? Quand même ! Encore un motif de traumatisme irréversible de ma psyché. Et je danse dans tous les sens sur « The fight song » en faisant des coups de karaté dans l’air pour tuer les zombies et les loups-garous. Je leur laisse aucune chance. Mes mains décapitent impitoyablement les têtes sans la moindre émotion, mes pieds les écrabouillent sur le sol dans une bouillie de cervelles. Généralement c’est à ce moment que maman elle débarque dans ma chambre et dit : « Tu pourrais pas baisser ta musique de fou ? Et arrête de tape sur le plancher, ça fait trembler la maison ! Les voisins vont encore se plaindre ! »
Là je baisse le son et j’essaye une nouvelle fois de faire passer le message en exposant avec clarté et précision les concepts révolutionnaires fabuleusement innovateurs de ma génération qui résoudraient tous les conflits des djeunes, à savoir la suppression des devoirs, la réduction des heures de cours et l’allongement du temps des vacances. Mais maman se contente en guise de réponse de hausser les épaules en gardant un silence condescendant. Voyant que tout dialogue intellectuel est voué à l’échec le plus total, je file squatter la salle de bain. Je lave à grandes eaux purificatrices les miasmes morbides gélatineux récoltés cette nuit dans mon voyage dans les limbes des mondes perdus où croupissent dans la fange tous les monstres de la création. Bon, c’est juste pour laver un peu de gerbouille, j’avais l’estomac tournicoté, relatif au Coca avalé avec démesure et déraison. Ben, euh, le whisky de papa c’était juste pour colorer avec un parfum de fortifiant contre les amygdales d’une éventuelle angine. Et pis mon psy il m’a dit que je devais expérimenter de nouvelles sensations. Alors j’expérimente !
Bon, retour dans ma chambre, il faut que je recompose mon visage détruit par l’acide du lait démaquillant d’hier soir. Vite les points de sutures du mascara et de l’eye-liner pour donner à mes zoeils un regard profond, ténébreux et mystérieux ! Je mettrais bien mes lentilles de contact albinos tout le temps, mais maman elle veut pas pour aller en cours. J’ai juste droit le week-end à la maison. Mais de toute façon je les mets plus, elle arrête pas de rigoler. Et ça stresse grave la créativité constructive de mon egomania paranoïde. « Demona » de Luna pour offrir à mes lèvres la pulpe voluptueuse des kiss de la mort. Je m’entraîne en roulant des pelles à mes peluches gremlins, histoire d’assurer quand Marilyn Manson débarquera chez moi une nuit à bord de sa Limousine pour m’emmener avec lui aux Grammy Awards. Je paraderai à ses côtés dans une longue robe moulante et décolletée John Galliano, sous une pluie d’applaudissements et une furia de flashs d’appareils photographiques, mes longs cheveux de Méduse roulant comme des serpents dans mon dos nu. Y’a pas à dire, je suis un cas rarissime phénoménal merveilleux des merveilles phénoménales de la rareté introuvable.
Et c’est le moment des fringues ! Je passe toujours deux plombes à choisir ce qui conviendra à mon humeur délicieusement massacrante du moment. L’essentiel c’est de pas ressembler à Buffy. Je peux absolument pas la kiffer dans la joie. C’est rien qu’une petite pétasse qui se la frime grave ! Quand je pense qu’elle a couché avec Angel, ça me rend vénère malade dans un énervement illimité. Angel, t’es con ou quoi ? C’est moi la fille de ta life ! M’enfin ! Ouvre les yeux ! Je suis l’incarnation de la muse rêvée de tous les rêveurs rêvant d’une muse fabuleuse, indicible, ineffable. Hein que j’en connais des mots qui savent exploiter mon irréelle beauté ! Euh, Oups ! Chuuuut ! Vous avez rien entendu. Marilyn il serait pas content. Et pis avec Angel on se serait peut-être pas entendu. Je suis trop idéale pour un vampire qui vise le bas de gamme avec Buffy. Il aurait zexplosé sous la puissance incontrôlable de mon absolue féminité irrésistible et insoutenable. D’un côté je lui ai sauvé la vie en ignorant son amour. Mais la prochaine fois, s’il tente encore de m’embrasser, je le détruis dans un anéantissement terminal. Bon, alors, c’est pas tout, mais je mets quoi, moi ?
Quand mon portable sonne « The dope show ». C’est Sophie, ma meilleure copine. Mon désespoir chronique incurable. Fan de Lorie, Priscilla et de la Starac. Blonde scintillante en plus ! La totale quoi ! J’ai déjà essayé de mordre dans son cou pour la transformer en vampirette, mais elle veut pas. Je comprends pas l’obstination des autres à vouloir persister dans un état végétatif du cervo. Elle propose d’aller au centre commercial cet aprèm. Ben tu veux faire quoi dans un bled paumé pendant les vacances de carnaval ? Et pis d’abord je supprimerais cette fête débile des neurones et je mettrai à la place Halloween. Ben oui, des croque-morts mortifères et des goules gouleyantes, c’est quand même plus esthétique que des bouffons tout coloriés, non ? On est plus à la maternelle, m’enfin ! Et pis Halloween aussi à Noël, avec des crânes et des os à la place des boules et des guirlandes dans le sapin, et le père Noël en Marilyn Manson, forcément, ça découle de soi ! Bon, allez, petite culotte Batwoman Fatal Attraction, soutif Baby Black Milk, bas mauves auto fixant Chair Clinic, sweat court moulant Toxic Death, petit corset Hellbunny, minijupe Déesse of darkness, ceinture Delicious Strangulation, bottines Metallic Burn. Pour pas changer. Le classique de la vampirette, y a que ça de vrai ! La combi Criminal Girl en cuir, c’est juste quand je chasse la nuit. Aussi pour faire la teuf dans les boums.
Et la perspective d’une journée de vacance follement trépidante vouée au culte du shopping effréné à la recherche de la nouveauté qui rendra folle de jalousie les copines, aux derniers potins sur les stars avec plein d’infos glanées sur le Net, et au Mac Do avec des slurpages de Cocas à la paille en mâchant le dernier big Mac avec 20% de gruyère gratos en plus ! Parcours obligé dans la lumière qui risque de me désintégrer à tous moments. Pour ça que je marche un max dans les ombres, évitant le scalpel des rayons du soleil. Alors que normalement je devrais sommeiller la journée dans mon lit cercueil, mais maman elle veut pas. Et le psy non plus, il m’a dit : « Tu dois affronter les dangers du quotidien pour enrichir ton savoir et élargir ton champ d’expériences pour un meilleur profit intellectuel et social. » J’ai trouvé la phrase trop top gun, je l’ai tapée sur mon portable et je l’ai envoyée par texto à des copines. J’ai pas encore reçu de réponse. Sur mon chat msn, je crois y en a qui ont supprimé mon contact, vu que le bonhomme y se met plus en vert. Sophie, elle a fait comme si elle avait rien reçu, et avant que je lui demande, elle a dit que sa messagerie merdait. « Mamaaaan, tu me files 10 euros, je vais au centre commercial, 15 si tu veux, sinon si tu peux pas 20 c’est bien aussi ! » Ben quoi, c’est le psy il a dit que je devais m’enrichir.
J’avale mon petit dej, des Corns Flakes au miel et un verre de jus de tomates, que c’est comme si je buvais du sang pour maintenir mon organisme vampirique en vie, vu que j’ai pas le droit de boire du vrai sang. Sinon je me rabats aussi sur le sirop de grenadine, de fraise et de framboise, histoire de compenser le manque d’hémoglobines. Puis je me connecte au Net, je vais sur mon blog sur Marilyn Manson et je poste mon message pour la Saint Valentin : « A mon suprême vampire adoré, reçois tout mon amour éternel pour l’éternité, mords dans mon cou et abreuve ta soif, je suis tienne à jamais, Red-Cherry. » J’ajoute la photo où je suis avec lui, faite avec Photoshop version évaluation. Il me tient dans ses bras et me regarde avec des zoeils magnétiques que je suis hypnotisée de bonheur et de soumission à tous ses désirs. Et c’est là que Sophie me rappelle toute excitée. Elle me demande de taper « Marilyn Manson Britney Spears » dans Google. Que je risque d’être drôlement surprise. Déjà Britney Spears à côté de Marylin Manson c’est une surprise bizarroïde. Une sorte d’anachronisme de deux ADN aussi incompatibles que moi et maman. A croire que je soupçonne qu’elle m’ait adoptée, et que j’ai été conçue une nuit d’orage par des vampires, et qu’elle tait ce lourd secret.
Je tape donc « Marilyn Manson Britney Spears » dans Google, appuie sur la touche Entrée. Hein ? Quoi ? J’hallucine des zoeils. Le ciel s’ouvre sur ma tête. Je suis aspiré au paradis où les anges sentent le savon de Marseille et sourient comme des tarlouzettes. « Evénement dans le monde de la musique… Marilyn Manson et Britney Spears se voyaient en secret… Ils révèlent enfin leur amour au grand jour… Leur mariage a été célébré aujourd’hui… » C’est une blague ? Satan, dans ton infinie clémence, dis-moi que c’est une blague ! Je clique sur Actu Star. C’est pas une blague. Une photo avec Marilyn serrant dans ses bras Britney confirme froidement et chirurgicalement le scoop. AAAAAAAAAAAAAAAAH ! Long cri funèbre et déchirant d’une fille vampirette brûlée par l’eau bénite. Alonette in the dark ! Je redeviens un spectre sans consistance livré au courant boueux des égouts de l’enfer. Satan, pourquoi m’as-tu abandonné ? N’étais-je pas la plus fidèle de tes servantes ? La croix de la rédemption tord mon ventre. Ma matrice accouche d’un demi Chucky tout tordu dans le squelette. Des gros vers gluants se disputent ma chair virginale. Mon âme se dissout dans le bocal du docteur Frankenstein. Pourquoi tant de souffrances ? C’est po juste !
Furieuse, détruite, le visage inondé de larmes brûlantes qui laissent des sillons noirs sur mes joues, une bave verdâtre dégoulinant de ma cavité buccale où se dressent mes dents de vampirette clipée sur mes gencives, je lézarde Marilyn Manson avec ma lime à ongles. Le papier des posters scroutche sous la pointe qui lui ouvre le corps. Tout le sang de mon amour se répand sur son agonie. Là c’est « Coma white » dépassé. Le chirurgien à la tête grimaçante de Freddy Krueger essaye de rattraper ma vie avec les électrochocs de ses griffes métalliques acérées. Pinhead tente de me ramener avec les crochets au bout de ses chaînes foudroyantes jaillies de son cube. Mais mon âme est déjà condamnée à un chagrin éternel. Je sombre lentement dans les abysses insondables de l’inconscience universelle. Sur ma tombe vous mettrez : « A résisté jusqu’au bout l’épée à la main, mais l’ennemi était trop nombreux. »
Trois jours plus tard. Bon, le premier qui rigole je l’assassine sauvagement et sans aucun ménagement pour son amour-propre. Dur mais c’était nécessaire pour retrouver un semblant d’équilibre et d’estime de moi. Rose Trash Bonbon Crash, que je qualifierai mon nouveau look. Je lutte, je jure, je lutte pour porter ces fringues ! Chemisier blanc, jupette kilt, socquettes blanches, souliers vernis. Soutif inexistentiel, petite culotte neutre et fonctionnelle. Et des couettes avec des rubans roses dans les cheveux bien peignés avec la raie. Blond Luminescence de Schwarzkopf. Fard à paupières rosy flashy. Les lèvres rose pailleté printemps. Je meurs ! La chute de Hellsing à Clueless ! Scarification de ma personnalité outragée ! Mais je dois l’oublier en cherchant à le rejoindre dans sa folie, c’est le seul moyen possible, la seule voie vers une hypothèse de reconstruction de mes molécules bio-métaphysiques. Oui, je sais, c’est total incompréhensible, mais moi-même je comprends plus mes sentiments bafoués. Je tripote ma lime à ongles dans mes doigts torturés de démangeaisons meurtrières. Peut-être qu’une nuit de pleine lune Red-Cherry, la vampirette la plus sanglante de tout le monde de la planète ressurgira du cercueil de sa tombe, dans un ciel tissé d’éclairs, prête à reprendre la chasse. « Mamaaaan, y a plus de Danette au chocolat dans le frigo ! Ooouuuiiinnn ! »