par Phantom_Blue » 03 Déc 2010, 09:36
Épisode 2
Minuit venait de sonner au beffroi.
Debout sur le comptoir, les jupes relevées, les cuisses à l'air, les sœurs Laraider se déhanchaient en lançant des cris copulatoires de belettes.
Aux sons endiablés de la cithare de Krystos. Sous les encouragements de la gueusaille enfiévrée par les boissons.
Jennifer avait dressé son oreille. Elle écouta, sans se soucier des bruits autour d'elle, sous l'œil interrogateur de Marco. Enfin elle se pencha vers lui et confia :
— Je crois que nous allons trouver le troisième Livre de l'Editeur… tu vois à cette table, là -bas, ce gros moine ventru et ce beau chevalier.. ils ont un morceau d'une page, trouvée dans la cité de Troie… nous pourrons reconstruire le pays des merveilles…
En entendant le nom de Troie, Marco avait tremblé d'émotion. Deux étoiles habillèrent de lumière le ciel sombre de ses yeux.
— Troie, dis-tu ? Et ont-ils parlé de la belle Hélène ?
Jennifer le dévisagea, un sourire amusé caracolant sur ses jolies lèvres nacrées de rose.
— Je vois que ton cœur palpite fort.
— Nenni, que vas-tu imaginer là ?
— Allons, tu en mords pour la belle Hélène, qui dit-on, a le sein plus doux que la pêche, et dont le coquillage finement ourlé a engendré bien des passions, et des folies aussi.
Marco serra ses poings et crachota :
— Pfffff ! N'importe quoi ! Seuls comptent les Pokémons !
— Allons Petit Poucet du bois enchanté, ne renie pas les désirs de l'amour que ton visage trahit.
— Je ne suis pas un Petit Poucet, prends garde, je suis le grand guerrier des Pokémons ! Et gare à qui me défie, il en payera de sa vie !
Jennifer éclata de rire.
Apofyse vida une autre pinte de bière et lâcha un rot caverneux. Puis il envoya d'une voix saliveuse, imbibée de mots houblonnés :
— Bientôt nous allons bâtir des cités entières à la gloire de Zeus, grâce au troisième Livre ! Terminé mes essais de niveaux avortés, je vais enfin aboutir et devenir le maître du monde !
Quand Nicole se précipita à sa table et lui souffla :
— Venez vite, nous avons un voyageur qui suffoque, nous l'avons mis dans la buanderie. Peut-être a-t-il besoin des derniers sacrements. Et comme vous êtes moine…
Apofyse se leva et suivit Nicole.
A l'extérieur, dans la buanderie, un homme en pèlerine, le visage balafré, gisait sur un grand évier de pierre.
— C'est le cuistot qui l'a trouvé devant la taverne, expliqua-t-elle, et l'a porté ici.
— Laisse-moi avec lui, dit Apofyse, seul le Seigneur et moi devons être présents.
Une fois Nicole dehors, le moine fouilla les poches du voyageur, en retira une bourse garnie de pièces, et l'empocha dans sa soutane.
Il trouva aussi une lettre, qu'il lut rapidement, et fourra dans une autre poche de sa soutane.
Enfin il ouvrit la bouche du cadavre, et après un examen minutieux s'empara d'une petite tenaille, qu'il avait toujours sur lui.
Bientôt deux dents en or se retrouvèrent dans la paume de sa main.
— Hé hé hé, qu'il gloussa avant d'empocher la tenaille et les deux dents.
Satisfait de son butin, il fit un rapide signe de croix, prononça trois paroles en latin et retourna dans la salle.
Au passage, il blablata quelques mots à Nicole, et retrouva sa table, où le chevalier Drakan réfléchissait, le regard perdu dans le vide, un œil tourné en direction de le belle Jennifer.
Quand la porte s'ouvrit et un jeune homme de fière allure, vêtu en mousquetaire entra, le panache flamboyant. Il tenait en laisse un petit phacochère.
— Tu nous amènes le dessert, bel étranger, la broche est sous la cheminée, lui lança Nicole, un plateau chargé de bocks à la main.
— Arrière gourgandine, répliqua-t-il sec, sache que je suis Agent Falkan, le bretteur le plus redoutable du royaume, et celui qui touchera à Fripounet, mon fidèle compagnon à quatre pattes, finira au bout de ma lame vengeresse.
— Tout doux, répliqua Nicole, j'étais dans la joie de l'humour. Assieds-toi ! Je viens te servir sous peu.
Agent Falkan toisa la salle d'un vaste regard et s'installa près de l'entrée. Il noua la laisse à un pied de la table, tapota le dos de Fripounet et loucha une nouvelle fois la salle.
Apparemment la personne qu'il comptait rencontrer n'était pas encore là . Il commanda un bock de bière et un bol du même breuvage pour son petit phacochère.
Les sœurs Laraider avaient fini leur danse et reprenaient du service.
Derrière le comptoir, Elodys versait des rasades d'alcool dans les verres, à l'écoute des derniers ragots.
Tandis que Babou, s'occupait de l'arrière salle, bourrant les pipes de tabac opiacé, pour les fumeurs allongés sur des paillasses.
Dans la salle, Krystos s'était campé sur la petite estrade, et récitait d'une voix larmoyante des vers en l'honneur de Selene :
— Ô toi astre doré, brillant au cœur des nuits… Apaise mes tourments, et endors mon ennui… Ne laisse pas l'amour briser mon pauvre cœur… Et plonge ma douleur dans un bain de torpeur…
Des sifflets fusèrent, ponctués de railleries :
— Va conter fleurette à ta lune !… On veut des jouvencelles !…
L'âme en colère, Krystos quitta l'estrade, pour laisser place à trois danseuses à la nichonaille généreuse, levant haut les jambes et les cuisseaux dénudés.
Il sortit de l'auberge et fixa la lune dans la nuit étoilée.
— Bande d'incultes, cracha-t-il amer. Comment peut-on renier tant de beauté céleste ?
Soudain un rayon doré, venu de l'astre nocturne, baigna son front de baladin. Et une voix douce et forte de femme chanta dans sa tête :
— Je suis la déesse de la nuit… Tu as prouvé ta foi envers moi… Je te choisis pour être mon ambassadeur… Tu construiras un temple pour me glorifier…
— Mais comment ? demanda Krystos, ébloui par cette merveilleuse voix. Je n'y connais rien.
— Je te conduirai au troisième Livre de l'Editeur, qui te donnera le pouvoir des cubes.
Krystos tomba à genoux, le visage inondé de larmes.
Mais revenons dans la taverne. Quel est ce mystérieux personnage qui venait d'entrer ? Drapé dans une cape noire. Avec des lunettes, des gros sourcils et une moustache ? Groucho Marx ? Il lui ressemblait trait pour trait. Avec la même façon nerveuse et courbée de marcher. Un cigare fumant entre les dents.
Il s'installa à une table, jeta des regards autour de lui, commanda une pinte de bière, chercha quelque chose sur le sol. Découvrit dans un coin Pouillu, couché dans une flaque de bière.
— Petit poivrot, rumina Dorian, décidément…
Oui, car il s'agissait de Dorian, le Pince Noir, déguisé en Groucho Marx, venu se mêler à la populace. Une demi-heure auparavant, sa boule de cristal lui avait révélé que le troisième Livre de l'Editeur allait bientôt réapparaître. Et qu'il fallait se rendre immédiatement à la taverne des sœurs Laraider.
Aussitôt, délaissant son athanor, sous le regard vitreux des crapauds aux ventres ballonnés flottant dans les bocaux de formol, il s'était précipité devant sa glace, pour se grimer le visage.
Et maintenant, il savourait la fraîcheur mousseuse d'une bière, une larme glissant sur sa joue fardée, en pensant à Mary, son grand amour, à leurs longues promenades dans la douceur de la campagne anglaise du Gloucestershire. Et dont le corps, momifié dans un cercueil de verre et de glace, reposait dans une crypte de son château.
— Et grâce au troisième Livre, je te ressusciterai, ma bien-aimée, éternelle à jamais, murmura-t-il, avant d'avaler une longue coulée de bière.
A quelques mètres de la taverne, sur la place pavée, un carrosse aux armoiries du roi s'arrêta, les quatre chevaux soufflant des naseaux, des gaz fusant des sphincters. Tenus par un cocher emmitouflé dans un grand manteau, le visage masqué par une capuche.
A l'intérieur, le connétable Rampage Master caressa son menton recouvert d'un triangle de poils, le jabot exubérant, deux pompons verts batifolant autour de son large chapeau.
Il s'adressa à Medievil, son fidèle comptable, dont la tenue rappelait celle des Incroyables sous la Révolution Française :
— D'après ce que j'ai vu, les champs sont florissants, la cochonaille est bien dodue, les impôts récoltés seront en conséquence.
— Oui, articula Medievil, mais il serait plus prudent d'attendre que la garnison soit là , souvenez-vous des villages voisins. Nous ne sommes pas les bienvenus.
— Tu as raison, soyons discret. Allons nous abreuver dans cette taverne, anonymes comme les pendus aux carrefours des bois, et dont les faces damnées, dévorées par les corbeaux, ne livrent plus leurs identités.
Campé debout dans les pissotières, à l'extérieur de la taverne, derrière la porcherie, où les cochons copulaient frénétiques en poussant des grognements jouissifs, le Corrector avait dévissé le clapet en fer de son armure, celui sous son ventre, et un long jet d'urine jaillissait d'une tige imposante, éclaboussant le mur orné de graffitis.
Quand un long hurlement de loup hurlant hurla dans la nuit.