par Phantom_Blue » 22 Sep 2009, 22:33
Épisode 25
Agent Falkan plaça sur la branche un petit détecteur ultra puissant relié à son oreillette et redescendit en bas avec une souplesse de singe ninja. Et sans froisser son super smoking de combat.
Appuyé contre le tronc, des écouteurs dans les oreilles, SamFox fixait l'écran d'une télé de poche. Une larme coulait sur sa joue de baroudeur des jungles.
L'espace d'une seconde, Agent Falkan crut que son équipier avait placé une caméra de surveillance et qu'il scrutait les alentours. Mais il comprit le sujet de l'émoi en reconnaissant les personnages sur l'écran. Enervé, il arracha les écouteurs de ses oreilles et cracha :
— Mais tu fous quoi, bordel ?
— Excuse, bafouilla SamFox, encore sous le coup de l'émotion. C'est le 3543e épisode d'Amour Gloire et Cruauté. Brandon a failli rompre avec Jennifer pendant leur nuit de noces. Il a découvert qu'elle était en fait un transsexuel, mais qui avait gardé sa masculinité, enfin tu vois ce que je veux dire. Et par amour, Brandon a accepté de se faire opérer pour devenir une femme. Que c'est beau, tu ne trouves pas ?
Agent Falkan n'aurait pas hésité à dégainer son Magnum 44 pour loger une balle explosive dans le crâne de SamFox, mais il avait besoin de lui. Il réprima avec force cette envie jouissive et articula d'un ton plus calme :
— OK, je pense qu'on est tous tendus, c'est normal, on ne sait pas ce qui se prépare, et c'est certainement pas quelque chose de plaisant.
Agent Falkan utilisait le mot plaisant depuis qu'il l'avait entendu prononcer par Clark Kent dans Superman. Quelque part il s'identifiait au super héros de Metropolis.
— Oui, continua SamFox, alors tu as Hélène, la mère de Jennifer qui est amoureuse de Brandon, et dans un épisode plus avancé qui passe sur une autre chaîne, elle découvre qu'il s'est changé en femme, du coup elle devient lesbienne, mais Valérie, la mère de Brandon, qui est lesbienne, et qui est amoureuse de Jennifer, découvre que cette dernière est un transsexuel, et elle se fait opérer pour devenir un homme, mais entre-temps Jennifer se fait opérer pour devenir une femme totale, parce que Brandon en femme devient lesbienne…
Les doigts nerveux de la main droite d'Agent Falkan caressèrent avec une violence difficilement contenue la crosse de son Magnum 44 logé dans un holster sous son bras gauche.
Sophie stoppa le van devant les grilles fermées du manoir et coupa le moteur.
— Pourquoi tu t'arrêtes ? demanda Ramona.
— C'est la troisième fois, et quelque chose me dit qu'on va de nouveau retrouver la même chose.
Un silence pesant pesa sur les filles.
Sophie ferma ses deux paupières soulignées d'un Make Up For Ever à effets pailletés et irisés, et se plongea dans une relaxation concentrée en ondes alpha.
Des souvenirs d'enfance flashèrent en images cinémascopes sur la toile obscure de sa nuit mentale.
L'émotion l'étreignit quand elle vit Toto, le petit cochon que sa mère lui avait offert pour son dixième anniversaire. Il gambadait dans sa chambre, la queue en tire-bouchon, furetant partout avec son petit groin rose.
Elle souleva un dixième de sa paupière droite et aperçut Ramona qui la fixait, avec cet éclat caractéristique dans l'œil qui ne trompe pas une psychologue expérimentée comme elle.
Ramona sursauta en voyant les deux paupières de son amie s'ouvrirent d'un coup, comme deux stores qui remontent en un éclair, les yeux braqués sur elle avec une intensité presque insoutenable.
— Allez, cracha Sophie, parle ! Comment tu as fait ça ? Et pourquoi ?
Ramona tordit ses doigts aux ongles laqués d'un vernis Dior teinte Nude Chic brillance extrême, afficha un visage gêné, passa la main sous son siège et exhiba un petit boîtier clignotant.
— Ça vient de la Nasa, d'une expérience sur le temps.
— Et tu as eu ça comment ?
— Sur eBay.
Sophie tripota le boîtier, surprise qu'un petit objet puisse avoir autant d'effet.
— Et pourquoi tu as fait ça ?
— Ben je voulais pas affronter cette nuit, toujours des monstres, et encore des monstres, et je sais pas quoi…
— Pourtant tu étais la première à foncer quand on avait une affaire.
— Ouais, mais j'en ai un peu ma claque de tout ça.
Sophie la regarda sans rien dire, puis dit sans la regarder, en regardant le boîtier :
— OK, on va encore régler cette nuit, et après, je te promets des vacances au soleil, ça te va ?
— Euh, on pourrait pas filer en vacances tout de suite, non ?
— Il faut d'abord qu'on règle cette nuit, sinon il n'y aura plus jamais de vacances, j'en ai le pressentiment.
— Aie, souffla Ramona, tu crois ?
— J'en ai bien peur, il va se passer quelque chose d'énorme, et si on n'intervient pas… Comment on éteint ce truc ?
Dorian jugea l'endroit approprié pour une pause avant la grande bataille. A une centaine de mètres du manoir. A l'orée du champ de blé près d'un bouquet de buissons énormes.
Il allait mettre à contribution les gadgets inventés par les prêtres ingénieurs du Vatican, en plongeant sa main dans la petite sacoche attachée à sa ceinture. Chaque gadget avait la forme d'une pièce de monnaie à l'effigie du pape. Il suffisait de presser sur la pièce. Il pressa donc deux pièces.
Une table légère de camping en tube se déplia comme dans un film d'animation en 3D quand une table légère de camping se déplie. Une chaise légère en tube se déplia de la même façon, sur laquelle il prit place.
Puis il sortit un bloc A4 aux feuilles unies dont la blancheur prenait une belle clarté rousse sous la lune rousse. Un encrier dont l'encre violette s'irisa de reflets roux. Un porte-plume sur lequel il fixa une plume Sergent Major neuve et brillante.
Un petit cri plaintif et bien connu attira son attention.
C'était Pouillu, debout sur ses petites pattes arrières, le museau frétillant levé vers lui, qui lui dit d'une petite voix hamstérienne :
— J'ai la dalle… criiik…
Dorian déchira le papier coloré d'une barre de chocolat bio light Crunchy aux céréales énergétiques et la donna à Pouillu, qui s'en empara aussitôt, l'œil humide et gonflé de voracités irrésistibles.
Ceci fait, le valeureux et légendaire chasseur de monstres commença à écrire le premier chapitre de cette nouvelle aventure, les yeux se levant vers cette lune rousse qui semblait lui inspirer les phrases les plus étranges et les plus troublantes :
— Un rêve de jeunesse éclairait mon esprit d'une lumière diffuse… C'était l'époque insouciante de ma vie où je me voyais porter vers un destin glorieux, adulé par les princes, envié par les rois, désiré par les impératrices… Mon cœur ne battait alors que pour les exploits guerriers et la conquête du monde… J'aurais voulu embrasser la Terre entière dans une seule étreinte et boire ses océans comme des vins enivrants… Et assouvir ma soif d'amour sur les lèvres des nymphes blanches et palpitantes dans le lit sombre des forêts enchantées…
Manu dégusta la dernière cuillerée de haricots et se rinça la gorge avec une coulée de High Chaparal. Pendant que Foufou léchait le fond de la casserole en larguant une série de pétarades anales.
Un calme serein, pour ne pas dire une sérénité calme, flottait sur la campagne et le manoir. Qui pouvait imaginer que dans moins d'une demi-heure ce lieu serait l'objet d'un événement surnaturel unique entraînant le monde dans le chaos ?
Ses doigts experts tassèrent avec délicatesse le tabac modifié aux senteurs tropicales dans le fourneau du shilom.
Une allumette craquée dans un craquement d'allumette illumina son visage de routard et ses lèvres aspirèrent les premières bouffées odorantes de la connaissance divine.
Assis sur son popotin bouclé, Foufou le regardait, les yeux pétillants d'envie.
Manu lui tendit le shilom. Le caniche téta avec avidité l'embout nacré, de la fumée sortant en petites vrilles tourbillonnantes de sa truffe humide.
— Toi aussi tu veux connaître les plaisirs du jardin d'Eden… La libellule chante d'allégresse après avoir dévoré le crapaud imprudent, qui n'a pas su voir en elle la déesse de la nature… Ne te fie pas aux apparences, cher petit toutou avide et insatiable, le tango ressemble à la valse mais ce n'est pas une polka… Et la tige de marguerite peut ressembler à un phallus de papillon et tromper le désir de la coccinelle amoureuse…
Foufou bailla, la langue étirée comme un serpent en quête de morsures, et largua une venteuse sourde dans l'herbe douce.
Clara fila derrière le manoir. Elle avait repéré Agent Falkan dans l'arbre et elle préférait éviter l'entrée principale. D'autres personnes devaient traîner dans le secteur, elle savait qu'elle n'était pas la seule sur ce coup mais elle comptait bien tous les devancer.
Gallimer gambadait devant elle en gesticulant dans tous les sens, à croire qu'il jouait dans Le magicien d'Oz, et qu'elle était Dorothy, la fille emportée par une tornade dans le monde des rêves.
Elle revoyait les grandes forêts de Norvège, les clairières où se déroulaient les sabbats les nuits de pleine lune, les sorcières qui dansaient nues sous les rayons dorés, appelant de voix suppliantes et soumises le diable, qui ne venait jamais. Elle était bien décidée à le rencontrer, enfin, et le plier à ses quatre volontés.
Gallimer s'arrêta devant le rideau de lierres et montra la petite porte en encastrée dans le mur épais. On devinait sur son visage en chiffon une sorte de joie infantile. Il chercha à l'ouvrir mais sans résultat.
— Maîtresse, nous pouvons entrer par là mais la porte est verrouillée.
Clara plongea la main dans une poche de sa robe et brandit une petite clé en argent. Elle l'encastra dans la serrure. La clé prit la forme qui convenait car c'était une clé magique.
Deux tours plus tard, la porte s'ouvrit en poussant un grincement de porte en fer qui s'ouvre en grinçant. Cela devait faire des lustres qu'elle n'avait pas été ouverte. Et en franchissant le seuil, Clara éprouva comme un sentiment bizarre.
Elle eut l'impression de pénétrer dans un siècle passé, peut-être à cause des lierres qui donnaient à l'endroit un aspect romantique d'autrefois.
Gallimer la suivit et resta figé devant les obstacles du parcours du combattant. Avant d'escalader avec agilité un bloc de trois mètres de haut.
— Ce n'est pas le moment de jouer, souffla Clara d'une voix tamisée, redescends !
Mais l'épouvantail était déjà lancé dans une folle escapade, bondissant d'obstacle en obstacle, perdant à chaque saut quelques brindilles de paille, qui virevoltaient dans l'air avant d'échouer sur le sol, comme des particules de vie végétale rendues à l'énergie de la terre nourricière.