par Phantom_Blue » 15 Mai 2011, 08:47
Symsi referma le casier, le livre de maths plaqué sur sa poitrine. Les yeux rêveurs. Elle regarda Jonathan passer dans le couloir. Le capitaine de l'équipe de foot. Trop beau dans son tee-shirt et son jean moulant. Elle loucha sur ses fesses.
— Alors on mate les garçons ?
Symsi sursauta et se retourna, pas contente d'avoir été surprise dans une activité illégale quand elle est découverte.
C'était Annette, sa meilleure copine, avec son look de première de la classe, les lunettes trop grandes, les cheveux fixés pêle-mêle par une barrette rose en forme de papillon kitsch.
Symsi l'aurait bien critiquée, mais elle n'était pas mieux, avec son jean flottant et son grand pull modèle femme enceinte. Par contre, elle arborait des lunettes plus discrètes.
— Il est pas pour toi, souffla Annette, on fait partie du club des ringardes. Il faudrait un miracle comme dans les contes de fées. Une bonne marraine avec une baguette magique.
— Ou la baguette seule. Ça doit se trouver. Dans "Metal Girl", Lolita Blue découvre une petite boutique dans une ruelle obscure de la ville, tenue par un vieux Chinois, et il lui donne la baguette de la fée Morgane, mais bon, elle doit en échange s'abstenir de manger n'importe quelle friandise, sinon les conséquences peuvent être terribles. Mais ça vaut bien un petit sacrifice quand on a des super pouvoirs et qu'on sauve le monde plusieurs fois, non ?
— Tu lis trop de mangas, ma vieille, répliqua Annette en dégainant une barre de chocolat Milky Way. Perso, je préfère encore savourer un bon choco. Déjà que ma vie plafonne au sous-sol, alors si je dois encore me priver des petites douceurs de l'existence…
Elle mordit dedans à pleines dents.
Monsieur Lambert, le prof de science, dans son costume en velours brun cottelé, avec des ronds en cuir aux coudes, toisa la classe du regard de Terminator prêt à rafaler avec son gun, en brandissant une liasse de copies, et cracha :
— Vos devoirs sont lamentables, apparemment vous n'avez rien compris à la notion du mur de Planck, mais la palme d'or revient à mademoiselle Symsi.
Tous les yeux se tournèrent vers elle.
Symsi crut que l'univers entier venait de lui tomber sur la tête, avec ses milliards de galaxies dans une formidable explosion apocalyptique.
Le prof envoya d'une voix forte, qui résonna comme un tremblement de terre dans ses oreilles :
— Je vous lis ce que mademoiselle Symsi m'a écrit : "Le mur de Planck est une pure illusion de l'esprit, d'ailleurs c'est expliqué dans le tome 3 du manga "Metal Girl" où Lolita Blue, mon héroïne préférée, passe au travers pour découvrir une réalité insoupçonnée aux mondes infinis." Suit la description d'un combat avec les Mandrakans, une race qui aspire les planètes pour voler leur énergie.
Les rires déferlèrent comme des vagues tsunamiques. Symsi aurait voulut se raccrocher à une bouée, quelque chose qui flotte, mais l'océan s'étendait à perte de vue, et pas une seule île à l'horizon de son désespoir.
Le prof déposa la copie sur sa table.
— La vie n'est pas un manga, mademoiselle Symsi, et si vous continuez dans cette voie, vous risquez d'avoir de sérieuses surprises.
Il donna la liasse des autres copies à un étudiant pour qu'il les distribue, et fila au tableau expliquer une nouvelle fois le mur de Planck.
Le cours terminé, elle se dépêcha de rassembler ses affaires et fonça dans le couloir.
Annette la rattrapa dehors devant le lycée.
— Attends, lui cria-t-elle, ça va, c'est pas la fin du monde.
— Ouais, tu parles, répliqua Symsi, je crois que là c'était la totale, mais le plus dur, c'est Jonathan qui riait aussi.
— Mais qu'est-ce qui t'a pris d'écrire un truc pareil ?
— Je sais pas, je me suis laissée emporter, j'ai pas réalisé, le prof a peut-être raison, je suis trop pris dans les mangas. Ma vie devient super shadow.
— En tout cas, tout le monde a rigolé, tu vas finir par devenir populaire.
— Les clowns aussi font rigoler.
— Arrête, ne vois pas tout en noir.
— Je voudrais bien, mais dis-moi où se trouve le bouton pour allumer la lumière.
Elles marchèrent vers le grand parc. Une journée ensoleillée flashait sur Boston. Les tours des buildings se dressaient dans un miroitement de verres. Elles s'assirent sur un banc, sous les grands arbres pleins d'ombres et d'oiseaux.
— On va toujours au concert samedi soir ? demanda Annette.
— Affirmatif, répondit Symsi, je veux pas louper les "Kings of the Dead", leur dernier album est un big massacre, on avait pas fait de metal aussi trash depuis les "Blood Boys".
— Dis, toi qui es si fan, pourquoi tu te fringues pas dans ce style, ben comme Lady Dark ?
— Ça va pas la boule ? J'oserais jamais ! Surtout après mon exploit du mur de Planck. T'imagines ? Je me pointe au lycée le matin en mini cuir avec des bottes ? Lambert se taperait une crise cardiaque.
— Là tu deviendrais super populaire, envoya Annette, méga sûre et certaine.
Elles rigolèrent avec des larmes dans les zoeils, qu'il fallut enlever les lunettes pour les essuyer.
Symsi ouvrit les yeux. Elle était dans le bus, assise au fond. Il était vide et ne roulait plus. Et la nuit avait remplacé le jour. La lumière d'un lampadaire éclairait l'intérieur dans une ambiance presque spectrale.
— C'est pas vrai, qu'elle paniqua presque, en se levant d'un bond. Pourquoi Annette ne m'a pas réveillée ? On est où, là ? Au terminus ?
Elle regarda sa montre et s'affola :
— Minuit ! C'est pas possible !
Les portes du bus étaient ouvertes. Elle se retrouva sur un parking désert. Il y avait des bâtiments en briques et des sortes de hangars. Elle reconnut au loin les lumières de Boston. Enfin elle espérait que ce soit bien sa ville.
— Mais je suis où, là ? C'est quoi ce truc ? Y a quelqu'un ?
Elle était au comble d'un nouveau désespoir, se voyant déjà revenir à pieds en pleine nuit chez elle, quand elle vit une silhouette qui venait vers elle.
Dans la lumière des lampadaires, elle crut reconnaître…
— Non, se dit-elle, c'est pas possible, je rêve !
La fille continuait à marcher vers elle, dans une mini robe noire, le visage maquillé à l'égyptienne, avec des grands yeux magnétiques, les bottes claquant sur le macadam du parking.
Elle s'arrêta devant elle.
— Bonjour Symsi, je pense que tu m'as reconnue.
— Euh, bafouilla-t-elle, vous n'êtes pas… Lolita Blue… ?
— C'est moi, répondit l'héroïne dans un sourire amusé.
— Mais c'est pas… possible… je dois rêver… c'est ça, je rêve…
— Pas vraiment, en fait tu es dans l'interface de Boston, le côté inversé, je t'ai fait venir là , le temps de te passer la bague.
— La bague ? Quelle bague ?
— Pourtant tu suis toutes mes aventures avec passion. La bague qui me donne mes super pouvoirs. Celle-là !
Lolita Blue retira de son annulaire gauche une bague ornée d'un diamant bleu.
— Je te remets cette bague, comme la fille précédente me l'a remise, il y a trois ans. J'ai terminé ma mission, je n'en ai plus besoin, les super pouvoirs sont en moi définitivement. Maintenant c'est à ton tour de prendre la relève, pour trois ans.
— Hein ? Mais comment ça ? Je ne comprends pas.
— Tu es la suivante, la nouvelle héroïne.
Lolita Blue prit sa main gauche et lui passa la bague au doigt.
Symsi regarda le diamant bleu briller dans la lumière des lampadaires.
— C'est un rêve, qu'elle rigola, et je vais me réveiller. Oui, c'est ça.
Lolita Blue la fixa en souriant.
— Pour ce qui est de te réveiller, tu as raison. Pour le reste, tu le découvriras toi-même. La bague te donnera toutes les perfections. Et je te souhaite beaucoup de merveilles et de frissons, autant que j'en ai vécus.
Le parking commença à vibrer. Lolita Blue vibra aussi.
Et Symsi se réveilla dans le bus, qui roulait en plein jour sur la route bien connue vers sa banlieue. Elle était assise dans le fond, avec Annette.
— Quel rêve ! pensa-t-elle. C'était total ouf ! Je crois que je vais arrêter les mangas.
Machinalement ses yeux glissèrent vers sa main gauche.
Annette retira ses écouteurs, délaissant la voix éraillée de Karl Danzig, le chanteur des "Mortem Post".
— Bon sang, qu'elle s'étonna, ça va pas de sursauter comme ça ? J'ai cru que tu étais électrocutée.
— La bague, s'écria Symsi, puis plus bas, la bague, j'ai la bague, regarde !
— Ben oui, la bague, et alors ? C'est une bague !
— Mais j'ai jamais eu cette bague. J'en porte jamais, même quand je vais à des concerts. Tu l'as jamais vue avant, non ?
— Ben, tu sais, j'ai pas vraiment fait gaffe, je sais pas. Ma pauvre Symsi, je crois que Lambert a raison, faut arrêter les mangas.
Annette se leva.
— Y'a mon arrêt, je te laisse, à ce soir sur Skype, et décompresse, t'es trop stressée. Ça ira mieux samedi soir. Ah demain c'est ma mère qui m'emmène au lycée, je dois l'aider avant à porter des trucs à son bureau.
Symsi la regarda s'éloigner et sortir. Annette lui fit un signe de la main avec un sourire sur le bord de la route.
Et le bus redémarra.
Le lendemain, Kevin arriva en courant dans le couloir et envoya excité à Jonathan, qui cherchait des livres dans son casier.
— Mon vieux, si elle sort pas avec moi, je me flingue ! Je te jure, je le ferai !
Jonathan le fixa avec des yeux rieurs.
— Qu'est-ce qui se passe ? T'as de nouveau rencontré ton grand amour ? Tu le rencontres dix fois par mois ! C'est qui, cette fois-ci ?
— Symsi !
Jonathan éclata de rire.
— Symsi ? Symsi Pherson ? La petite ringarde qui traverse le mur de Planck ?
Les mots s'étranglèrent dans la gorge de Kevin. Il fit oui avec la tête.
— T'as pris quoi ce matin ? Tu sais que la drogue c'est de la merde ! Ça bousille les neurones !
Campée devant l'entrée du lycée, Annette écarquilla les yeux derrière ses lunettes et ouvrit une bouche au sommet de la stupéfaction.
Un groupe d'étudiants arrêta de discuter et tous les regards se tournèrent vers la fille qui arrivait dans une démarche décontractée.
Eblouissante. Merveilleuse. Irréelle.
Dans une mini robe noire joliment décolletée. Les yeux soulignés de khol. Cheveux au vent. Les bottes fendant l'air dans un rythme féminin hypnotique.
— Symsi ? bafouilla presque Annette. C'est toi ?
— Oui, répondit-elle, souriante, mais tu peux m'appeler Mika maintenant.