par Phantom_Blue » 07 Mai 2011, 08:32
QUENTIN fixait le T rouge sur la soutane blanche du grand prêtre, debout devant l'autel chargé de chandeliers allumés.
Un genou sur le sol dallé, l'armure étincelante, une main gantelée sur la poignée de son épée dans un fourreau décoré d'arabesques, il attendait, impressionné par la cérémonie. Sous le regard d'une vingtaine de chevaliers.
La voix solennelle du prêtre résonna sous les voûtes en pierre de la crypte.
— Quentin, jures-tu fidélité et obéissance à l'éditeur TRNG, notre grand Architecte, et d'éliminer tous ceux qui chercheront à lui nuire ?
— Je le jure, répondit Quentin.
— Par l'Ordre sacré de TRNG, Je te fais chevalier de l'éditeur ! Va et sers notre cause avec courage et honneur !
Quentin chevauchait fièrement sur son destrier blanc, les sabots claquant au fessier, la queue en panache virevoltant dans le vent. La campagne mûrissante de blés blonds défilait autour de lui. Un air doux et printanier flottait dans l'air.
Un bonheur indicible l'envahissait à l'idée de revoir sa bien-aimée et de lui conter fleurette.
La forêt de Lockwood profila bientôt ses grands arbres séculaires. Quentin s'enfonça au trot dans la fraîcheur des ombres de cette immense cathédrale végétale. Des cris d'oiseaux se répercutaient en échos comme une sonate de Lully.
La traversée aurait put se faire sans encombres quand une bande de gueux, cachée derrière les arbres et les buissons, surgit à grandes enjambées.
Quentin reconnut le moine Papo au faciès rondouillard et fourbe, accoutré dans une soutane reprisée et tachée de vinasse. Et le bandit Stoorne, son célèbre bandana rouge autour du front, une balafre sur la joue gauche. Des hérétiques de l'éditeur TRLE, adeptes des messes noires du boundage.
Les quatre autres malfrats devaient venir tout droit de la cour des miracles.
— La bourse ou la vie ! crâcha le moine, la bouche édentée, en brandissant un coutelas impressionnant.
— Tu iras la chercher en enfer ! répliqua Quentin en tirant son épée du fourreau.
Un rayon de soleil, venu d'une ouverture dans les hauts feuillages, fit briller sa pointe d'un éclat vengeur.
Un gueux, qui s'était faufilé derrière lui pour le surprendre, termina projeté dans les fougères par une ruade du destrier. Un autre gueux recula en criant de douleur, le visage taillé en travers par la lame bénie.
Le moine Papo roula dans les feuilles mortes, son crâne à moitié fendu par un puissant coup vertical.
Stoorne n'eut pas un meilleur sort. La bedaine ouverte de l'entrejambe à la gorge. Une pastille d'anis s'éjecta de son nombril.
Les deux autres gueux s'enfuirent dans les taillis, les poulaines terrorisées.
Quentin rengaina son épée et reprit vaillamment sa course.
Le château de Canterburry dressait ses tours crénelées sous un ciel d'azur.
Quentin posa pied à terre dans la cour, confia son destrier à un valet, et pénétra dans une grande salle aux murs décorés par des armoiries et des blasons.
Il monta un escalier en colimaçon, franchit un rempart dominant la vallée verdoyante, frappa trois coups sur une porte en bois. Il attendit quelques secondes, reconnut la voix aimée.
Elle était assise près d'une grande tapisserie représentant la dame à la licorne, une broderie dans ses mains fines et délicates, sa longue natte ornant avec un ravissement extrême son corsage au décolleté vertigineux.
Quentin se précipita vers elle, plia un genou au sol, encore plus impressionné que par la séance d'adoubement. Il osait à peine soutenir le sublime regard de cet ange du paradis. Il bafouilla, intimidé :
— Lady Lara… je suis votre dévoué chevalier, prêt à mourir pour vous…
— Relevez-vous, mon ami, dit-elle d'une voix musicale, je terminais un mouchoir avec mes initiales, que je veux vous offrir. Il vous portera chance dans vos batailles. Mais je veux vous offrir un autre cadeau, inestimable, celui-là , mon innocence. Venez et gagnons le lit ou vous pourrez tout à loisirs vous distraire sur mon corps.
Une double noix de salive glissa avec difficulté dans le gosier de Quentin.
Il se releva et s'apprêtait à suivre Lara, le cœur battant, quand la porte s'ouvrit brutalement.
— Maman ? qu'il s'étonna. Mais enfin, qu'est-ce que tu fais là ?
— Dis donc, qu'elle beugla, les dents alienesques, tu arrêtes tes jeux débiles et tu vas faire les courses, ton père rentre du boulot dans une heure, il faut remplir les mazouts. Et n'oublie pas tes devoirs, si tu loupes encore une fois le bac tu iras bosser à Olida pendant les grandes vacances. Et Cathy a appelé, elle pourra pas aller au cinéma avec toi ce soir, elle part un an en Angleterre, elle m'a demandé de te le dire, elle ne savait pas comment te l'annoncer.
Quentin secoua la tête, loucha la belle Lara qui commençait déjà à se dépixeliser avec le décor médiéval. Loucha sa mère qui attendait dans l'encadrement de la porte de sa chambre, un rictus d'impatience dans le silence de la voix. Gargouilla, en retirant son casque 3D, les mots agonisants d'une orthographe morbide :
— C'est po juste… nan, c'est vraiment po juste…