par Phantom_Blue » 25 Mai 2008, 09:39
DRIMS saison 3
Episode 1
Enilis ouvrit les yeux. Un néon brillait au-dessus d’elle sur un plafond composé de dalles blanches. Elle constata qu’elle était allongée dans un fauteuil incliné très confortable, dont la matière molle et douce épousait chaque forme de son corps. Elle portait un shorty, un tee-shirt et des chaussettes.
Un homme en blouse blanche se tenait devant une console de commandes. Une femme se trouvait à côté de lui, elle aussi en blouse blanche.
L’homme tourna la tête vers elle et lui sourit. Il avança jusqu’au fauteuil. La femme le suivit. Enilis reconnut Yakari Yamamoto.
L’homme ressemblait à Clark Gable. Avec une petite moustache et des yeux brillants. Il prit la parole.
— Alors, vous êtes de retour ? Comment vous sentez-vous ?
Enilis ne sut pas quoi lui répondre. Elle ne comprenait pas.
— Ne vous inquiétez pas, poursuivit-il, la mémoire va vous revenir, le temps que les derniers effets de DRIMS se dissipent.
Elle voulut se lever, mais un vertige l’obligea à se rallonger dans la matière douce et molle.
— Restez allongée, dit Yakari. Vous êtes encore faible. Vous avez passé une heure très intense dans DRIMS.
— Une heure ? s’étonna Enilis. Mais j’ai vécu plusieurs semaines.
— C’est l’effet de DRIMS. Tout va rentrer dans l’ordre. Reposez-vous !
Enilis essayait de réfléchir, les yeux fixés sur le néon.
L’homme reprit la parole :
— Je suis Charles Lancelin, le fameux Charly de DRIMS, enfin celui qui a joué le rôle de Charly pour les besoins du jeu.
Et la mémoire lui revint.
L’annonce pour tester le logiciel de jeu vidéo DRIMS, créé par la société OVER GAME, dirigée par Charles Lancelin, alias Charly dans le jeu. Les tests d’immersion en 3D. Et la plongée définitive.
Une autre surprise l’éclaboussa.
Elle avait de nouveau 25 ans, et non plus 17. Elle était technicienne en informatique dans la société OVER GAME, la pointe en matière de jeux vidéo.
Et Yakari Yamamoto était bio-informaticienne, la créatrice de DRIMS, enfin celle qui avait planifié toutes les données, aidée par une équipe de programmeurs.
Et Sandra, BB-lilith, Aeryn Sun et Blue n’étaient que des personnages virtuels créés par DRIMS.
Elle resta figée par la révélation.
— Vous vous souvenez maintenant, je crois, dit Charles.
Il avait capté le changement d’expression de son visage.
— Oui, répondit Enilis.
Yakari posa sa main sur la sienne.
— Vous irez mieux dans quelques minutes, le temps que votre esprit se réadapte complètement.
Enilis entra dans la cafétéria. Anna, sa meilleure amie, technicienne elle aussi, l’accueillit avec le sourire.
— Salut ma vieille ! Contente de te revoir ! Assieds-toi, je te cherche un café !
Enilis prit place à une table en formica orange. Anna revint de la machine à café avec un gobelet en plastique fumant. Elle le posa devant Enilis et s’assit en face d’elle.
— J’ai discuté avec Charles avant au téléphone. Il a interrompu la plongée. Tu manifestais un état de nervosité extrême. Je crois qu’une heure c’est le maximum pour une plongée, c’est peut-être même trop. A mon avis, Over Game n’est pas encore prêt pour sortir le jeu. Il faut encore faire des tests. C’est le premier jeu en 3D aussi réaliste. Je te laisse respirer, mais tu me raconteras ?
— Oui, dit Enilis. Excuse, je suis encore un peu groggy.
Elle afficha un petit sourire.
— C’est normal, je comprends, t’inquiète. T’es en chaussettes !
Enilis regarda ses pieds sous la table. Rigola avec Anna.
Puis elle but une gorgée de café, grimaça. Décidément, le café était toujours aussi amer.
— La prochaine qui plonge c’est moi, lança Anna toute fière.
— Ah oui ? s’étonna Enilis. Je pensais que c’était pas trop ton truc.
— Ben tu vois, j’ai réfléchi. Je bosse toute la journée sur des programmes, et là j’ai envie de m’investir plus, de participer, de vivre un jeu vidéo de l’intérieur.
— Tu ne seras pas déçue.
— Je te crois. Et puis on n’a pas encore exploité DRIMS à fond. On n’en est qu’au début. Ça va ouvrir des perspectives dingues.
Soudain Enilis éclata en larmes.
— Aie ! fit Anna en posant sa main sur son épaule. Tu subis le contre-coup psychologique. Ça va aller, pleure un bon coup. Tu veux un calmant ?
— Non, c’est bon, répondit Enilis en s’essuyant les joues. C’est les souvenirs de ce que j’ai vécu.
— Je comprends. C’est une réaction normale. Charles en avait parlé. C’est d’ailleurs l’un des problèmes majeurs du jeu, le côté psychologique du joueur. Et puis je ne sais pas si c’est vraiment une bonne idée de jouer avec l’âge. Passer de 25 ans à 17. Mais bon, c’est toi qui l’avais décidé.
— Oui, je sais. Il faut bien tenter l’aventure de temps à autre, pas vrai ?
Elle lâcha un petit rire. Anna l’imita.
Derrière la fenêtre de sa chambre, dans le bâtiment du personnel, Enilis regardait la pluie tomber sur le parc de Over Game. Elle était allée chercher ses baskets dans la salle de plongée. Charles et Yakira n’y étaient plus. Elle avait regardé le fauteuil. Puis elle était retournée dans sa chambre et elle avait enfilé un jean.
Ainsi c’était ça. DRIMS. Un jeu vidéo en 3D qu’elle testait. Toutes ces aventures avec Lili, Sandra, Sunny, Blue, et tous les autres, c’était la pure création d’un logiciel. Elle n’en revenait toujours pas. Lili avait vu juste quand elle disait : On dirait que le jeu tourne autour de toi (voir saison 2, épisode 2).
On frappa à la porte.
— Entrez, dit Enilis.
Martha Leprince, la psychologue de Over Game, déboula en tailleur, un sourire scotché sur les lèvres.
— Vous n’êtes pas passée à mon bureau, alors je suis venue vous voir.
— Oui, excusez-moi, dit Enilis, je serais passée après, mais j’avais les pensées ailleurs.
— Ce n’est pas grave.
Elle ressemblait à une vieille starlette des années 50 sur le retour avec son chignon et son air étriqué.
— Je voulais savoir comment vous vous sentiez ? Vous devez passer une série de tests, vous le savez ? Le retour à la réalité n’est jamais une affaire anodine.
— Ça va, je vous assure. J’ai juste encore un peu de mal à m’y faire.
— Justement, nous étudions cette étape. Charles pense qu’il faudra apporter des modifications en ce sens. Et votre vécu est des plus précieux pour nous aider dans cette tache.
— J’essayerai de vous apporter tous les éléments utiles.
— OK, dit Martha, je vous laisse vous reposer. Je vous attends demain à 10h. D’ici là , changez-vous les idées, allez voir un bon film. Il passe Indiana Jones et les crânes de cristal en ce moment. Il paraît que c’est très bien.
— Vous savez, en matière de film, j’ai eu ma dose. Je préfère plutôt faire une balade au grand air. Rien ne vaut la nature pour se remettre les idées en place.
— Vous avez raison. On n’a pas fait mieux.
Martha lui adressa un grand sourire, un petit clin d’œil et sortit.
Enilis composa le numéro de ses parents sur son mobile. Ecouta la sonnerie se répéter. On décrocha enfin. Elle reconnut la voix de sa mère.
— Salut, m’man, c’est moi.
— Ah, Nini, comment tu vas ?
— Ça va, la routine.
— Tu viens ce week-end ?
— Oui.
— J’ai acheté de nouveaux rideaux pour le salon. Il y a un nouveau supermarché qui vient d’ouvrir. Ton père a encore perdu son dentier. On n’a passé toute la matinée à le chercher. Je te jure, les hommes ! Et la voisine…
Enilis écoutait d’une oreille distraite. C’est la vie normale qui reprenait son cours. Enfin normale, avec DRIMS pour bouleverser toutes les habitudes. Elle se demanda si Over Game commercialiserait le jeu. Peut-être pas dans l’état actuel des choses, il fallait apporter des changements. Mais il finirait par sortir, Over Game avait investi des millions dans sa conception. Et il révolutionnerait le monde des jeux vidéo.
Elle avait été la première à le tester, d’autres la suivraient, comme Anna. Charles plongerait aussi, Yakari de toute façon. Elle se demande d’ailleurs pourquoi elle n’avait pas plongé en premier. Peut-être une appréhension de se retrouver dans un univers en 3 D. Il faut reconnaître que l’expérience était impressionnante.
— Bon, je te laisse, dit sa mère, on vient de sonner. J’attends un colis de la Redoute, à samedi, je t’embrasse.
— Oui à samedi, répéta Enilis, moi aussi.
Elle coupa la communication. Ah papa et son dentier ! Il faudrait en faire en jeu vidéo. Dans une maison de retraite, style Resident Evil, retrouvez les dentiers volés par une meute de lutins démoniaques !
Elle fourra le mobile dans la poche de son jean, s’empara de son parapluie rose, et sortit de sa chambre.
La pluie ricochait sur le tissu imperméable. Un petit air doux de printemps circulait. Les bâtiments modernes d’Over Game s’alignaient dans un cadre de verdure. Une sorte de mini Silicon Valley à dix kilomètres de Conflansy, la ville des universités. La Ferrari de Charles était garée sur le parking. A côté de sa Corvette.
Enilis s’attendait à voir surgir un zombie. Elle crut entendre un gun rafaler. Une larme coula sur sa joue. Elle lutta pour ne pas se laisser envahir par l’émotion.
Un instant elle aurait souhaité ne jamais revenir. Mais elle chassa ce désir. Tout n’était qu’un rêve éveillé un peut trop réel. C’est ça le but de DRIMS : recréer la réalité, mais une réalité divertissante, captivante, génératrice d’émotions vertigineuses. Puisque la vraie réalité n’apportait le plus souvent qu’une routine ennuyeuse. Le monde était-il destiné à basculer dans le virtuel ?
L’image des filles lui revint en force. Sandra agitant ses couettes. Lili échafaudant une hypothèse sur DRIMS. Sunny décapsulant une canette.
Et l’image s’estompa. Se désagrégea. Un tourbillon de couleurs délavées qui disparaît dans le siphon de la nuit mentale.
L’idée lui vint de replonger. Mais Charles serait-il d’accord ? Demain elle devait passer les tests. Martha lui conseillera certainement de faire un break. Elle sera obligée d’accepter. Et puis Anna devait prendre le relais.
Pourtant DRIMS était appelé à devenir un jeu populaire, où les gens pourraient jouer à leur guise, quand ils en ressentiraient l’envie. Donc elle pourra replonger. Il suffira de prouver qu’elle est d’attaque. Cette pensée la réconforta.
Un merle sautillait dans l’herbe du parc. Il avait attrapé un ver qui remuait dans son bec.
Soudain il s’envola dans un claquement léger d’ailes.
Enilis le regarda s’éloigner au-dessus des arbres, sous la pluie.
Il avait trois pattes.
Elle se souvint. Il alimentait parfois les conversations. Anna l’avait surnommé Triboule. Peut-être que c’était un male et qu’il avait aussi trois boules. Elle ne put s’empêcher de rire.
Elle passa devant le bâtiment des programmeurs. Elle en voulait à Marc, qui ressemblait tant à Jared Leto. Il n’arrivait pas à se décider, par moment il fuyait leur relation. Il hésitait à s’engager entièrement, il remettait toujours son vieux prétexte éculé sur la table. Il voulait encore tester la solidité de leur amour. Il affirmait que de son côté il était sûr, du sien aussi, il n’en doutait pas, c’est du moins ce qu’il disait, mais qu’un peu de temps était nécessaire encore pour… et blablabla. Elle voulait se marier, avoir des enfants, mener une vie normale que toute femme est en droit d’attendre. Mais Marc devait voir tout ça comme un jeu vidéo qu’on programme. Il devait confondre la vie réelle et les jeux qu’il crée.
D’ailleurs elle lui en voulait de ne pas avoir été là à son réveil. Bien sûr, Charles l’avait ramenée plus tôt que prévu. Il n’avait peut-être pas été averti. Enfin elle ne savait plus, tout s’embrouillait dans sa tête.
A un moment elle eut envie d’aller voir Marc, puis elle renonça à cette idée.
Elle revint sur ses pas, pour demander à Charles de replonger.
Elle remarqua Triboule sur le rebord d’une fenêtre du bâtiment du personnel. Il la fixait avec un œil de merle.
— Salut toi, lui dit-elle.
Triboule lui répondit avec un petit sifflement. Il sautilla sur ses trois pattes, se lissa les plumes et s’envola.