LA PREMIÈRE AVENTURE DE LARA
Avec Alicia Vikander dans le rôle de la jeune Lara
1
Lara ouvrit les yeux, s’étira dans le grand lit à baldaquin et afficha un sourire de grande satisfaction. On aurait même pu le qualifier de sourire de haute béatitude absolue frôlant le nirvana le plus absolu.
Après cinq longues années d’études dans les contrées de la Suisse, et l’obtention avec la mention "excellence" des diplômes en Arts et cultures, Histoire, Géographie, Mathématiques et Physique Quantique, élève surdouée et félicitée par ses professeurs, elle retrouvait le cadre familier du manoir des Croft où elle avait passé son enfance et une partie de sa jeunesse.
A dix-huit ans, enfin majeure, elle était maintenant l’unique héritière et donc la maîtresse des lieux, avec le titre de comtesse. Elle aurait préféré marquise, admiratrice d’Angélique, mais bon, comme le disait son prof de philosophie en la ciblant derrière ses lorgnons, on ne peut pas tout avoir dans la vie. Il faut se résigner à ne posséder que la totalité d’une partie de la totalité. Encore une pirouette intellectuelle qui ajouta un sourire moqueur à son incommensurable sourire de bonheur.
Elle sauta d’un bond souple sur le parquet, infiniment jolie et gracieuse dans son shorty rose, le tee-shirt tout aussi rose affichant la famille des Barbapapas. Les rideaux en mousseline tirés d’un grand coup, elle se campa devant la grande fenêtre, dans le flot délicieusement doré de la lumière matinale de ce début de juillet. Le parcours du combattant s’étalait sur plus de trois cent mètres avec ses obstacles démesurés. Elle revit la déception de son père quand elle refusa de continuer après le premier obstacle franchi avec peine. Elle avait douze ans.
En Suisse aussi, les épreuves sportives ne l’avait jamais emballées, elle avait eu la note la plus médiocre de sa promotion. Non, décidément le sport n’était pas sa tasse de thé. Elle préférait de loin la lecture et la réflexion sur des sujets beaucoup plus importants comme la structure de la matière ou la politique sociale sous les pharaons. Et surtout, elle adorait le shopping, elle ne comptait plus les robes et paires de chaussures entassées dans plusieurs placards du manoir.
A la seconde même où un corbeau se posait sur un des obstacles du parcours, elle décida que sa vie serait consacrée aux douceurs de l’existence, à savoir le shopping évidemment, qui deviendrait la priorité de sa priorité dans sa totalité la plus totale. Et n’en déplaise à son prof de philo qu’elle salua d’une révérence avant de filer dans la salle de bain.
2
Winston rinçait des pommes de terre épluchées sous le jet d’eau du robinet, un tablier au motif du drapeau anglais noué autour de sa taille. Il avait été major aux Indes dans l’armée de sa Gracieuse Majesté. Suite à une déception sentimentale, il avait préféré une vie plus simple, loin de toutes responsabilités. Et quoi de plus simple et sans responsabilités que majordome, dont il passa le diplôme haut la main dans la célèbre school of butlers & hospitality de Londres.
Lara déboula en trombe dans la cuisine. Jean déchiré aux genoux, tee-shirt noir avec l’emblème de Motorhead, baskets rouges fluo. Ses longs cheveux flottant au vent.
Elle le gratifia d’une bise sur la joue et l’enlaça au cou par derrière, sa tête posée sur son épaule pendant qu’il continuait à rincer les pommes de terre.
— Ah mon cher Wiwi, vous êtes l’âme de cette demeure, je pense ériger une statue de vous dans le jardin des passions.
— Quel jardin des passions ? demanda-t-il imperturbable, concentré sur sa tâche.
— Mais celui que je vais faire à la place de cet horrible parcours du combattant. Je prévois une gloriette et un kiosque à musique et des petits nichoirs pour les oiseaux.
Lara se mit à tournoyer autour de la table, les bras étendus, en chantant :
— Somewhere over the rainbow… Blue birds fly… And the dreams that you dreamed of… Dreams really do come true ooh oh…
Winston ferma le robinet, s’essuya les mains sur le tablier et se retourna. Il attendit la fin de la chorégraphie fantaisiste pour articuler d’une voix presque solennelle :
— Hier je n’ai pas eu l’opportunité de vous la donner, vous fêtiez votre anniversaire.
— Ah oui qu’est-ce qu’on s’est éclatés, on a créé un sacré désordre dans le salon mais bon, pour une fois dans l’année. Me donner quoi ?
— Cette lettre, poursuivit Winston en exhibant une enveloppe tirée de la poche de son tablier. Votre père feu sir Croft, que Dieu ait son âme, m’a demandé de vous la remettre à votre majorité.
3
Winston raccompagna les deux femmes et l’homme en combinaisons blanches à la porte du manoir. Il regarda la camionnette SERVICE NETOITOU s’éloigner dans l’allée vers la grille d’entrée. Puis il referma la lourde porte en chêne massif et regagna le salon nettoyé de fond en comble.
Lara était assise sur le canapé, la lettre à la main. Elle fixait le vide.
Il se dirigea vers un buffet antique et revint avec deux verres en cristal et une bouteille sphérique.
— Je crois qu’un petit remontant s’impose, dit-il d’une voix calme.
Elle but une petite gorgée de brandy Marie Brizard. Le liquide réchauffa sa gorge et son ventre.
Winston avala son verre d’un trait et se versa un deuxième. Lara tendit la feuille à Winston qui la prit, jeta un œil majordomien et avala le liquide à la même vitesse que le premier.
— Sir Croft avait le sens de l’humour et des énigmes, dit-il en rendant la feuille. Je suppose que ce chiffre a une signification importante, vous devez trouver laquelle.
— Oui mais quand même, souffla Lara au bord des larmes, juste ce chiffre et même pas un mot me disant qu’il m’aime.
— Ne vous en faites pas, il y a toujours une explication à tout, vous aurez la réponse en trouvant le sens de cette énigme.
Il se versa un troisième verre tandis que Lara s’éjectait du canapé d’un bond de fille insatisfaite par la tournure des événements. Elle cria d’une voix énergique, devant les portraits de ses ancêtres :
— OK, papa, si tu la joues comme ça, eh bien je la jouerai aussi comme ça, et je te montrerai que je suis à la hauteur ! Nan mais !
L’écho renvoya ses paroles dans l’immense salon et résonna dans les couloirs. Une armure à l’entrée se désarticula et s’effondra sur le carrelage dans un bruit de tôle désarticulée qui s'effondre sur un parquet.
Après un quatrième verre, Winston rangea la bouteille presque vide dans le grand buffet antique, revint d’un pas traînant d’une élégance majordienne stylée et demanda :
— Quel est votre plan, lady Croft ?
— Shopping ! s’écria Lara. Shopping !
Le manoir trembla sur ses fondations, secoué par les échos surmultipliés.
4
La Buggy stoppa net devant le perron du manoir dans un crissement de pneus. Claire s'éjecta du volant tandis que Séraphine sautait sur le gravier.
Lara se précipita vers elle et les serra dans ses bras.
— Dites donc, les filles, ça fait un bien fou d'être de nouveau avec vous !
— Il était temps que tu reviennes de Suisse, lança Claire, resplendissante dans sa tenue para commando.
Le shorty treillis, le haut assorti, des rangers à talons, elle avait gardé l'ambiance de Resident Evil.
Séraphine agita ses couettes, exhibant une mini robe blanche en dentelles de style rococo, des bas autofixant rouges et des bottines vernies turquoises.
— Tu nous as aussi manqué, Skype c'est bien beau mais ça ne vaut pas la présence en vrai. Tu as le bonjour de maman. J'ai oublié de te le dire hier, faut dire que j'avais un peu picolé.
Miss Natla, la mère de Séraphine, se trouvait toujours emprisonnée au pénitencier d'Alacatraza, en Amérique du Sud, pour avoir tenté de conquérir le monde en dérobant L'œil des Ombres dans la pyramide de Tehotihuacan en pleine jungle du Mexique. C'est le père de Lara qui avait contrecarré son funeste projet.
— Bon les filles, chanta Lara, on se fait une aprèm super shopping ! J'ai hâte de revoir les magasins, quand on est en Suisse perdue dans un collège en pleine montagne, ce n'est pas évident. Et avec cet uniforme anti-mode total !
— Mais tu étais mimi avec ta jupette plissée et ton blazer, envoya Claire, un rien moqueuse. Surtout la queue-de-cheval réglementaire !
— Arrête ! cria Lara. J'en fais encore des cauchemars maintenant.
— Mais c'est mignon les jupettes plissées, souffla Séraphine, ça fait vachement féminin.
— Surtout tarte, répliqua Lara, et avec les chaussettes aux genoux en plus. L'horreur absolue !
— Là les chaussettes c'est ringard, approuva Séraphine, ça fait vieille mémé. Sauf des petites socquettes avec une robe années 50 et un rock du Killer.
— Ça va, recommence pas avec Jerry Lee, crachota Claire, tu m'as assez bassinée avec du rock'n'roll pendant un mois.
— Ben et alors ? gargouilla Séraphine, j'y peux rien si je suis tombée amoureuse des années 50, surtout Buddy Holly, il est trop chou avec ses lunettes. Mais maintenant c'est du rococo et les valses de Chopin.
Claire haussa les épaules. Lara claqua dans ses mains.
— Bon allez les filles, assez blablaté, on s'arrache !
Derrière la grande fenêtre du salon, Winston un verre de Four Roses à la main, regarda la Buggy s'éloigner plein gaz en arrachant les graviers de l'allée.
5
Séraphine croqua à pleines dents dans une meringue et articula :
— Mais c'est quand même dingue ! Juste une feuille avec le chiffre 4 ! Ça veut dire quoi ?
— Je sais pas, répondit Lara en savourant une coupe glacée à la fraise. Papa adorait les énigmes, et il pense que je trouverais la solution.
Claire dégusta une cuiller onctueuse de sa Pêche Melba et proposa son idée sur la question :
— A mon avis, il faut chercher dans le manoir tout ce qui peut avoir une relation avec le 4. Ça peut être un square qui a quatre côtés, il y en a un dans le jardin. Et planquée sous le sable, une trappe.
— Ouais, s'exclama Séraphine, des bouts de meringue giclant dans l'air. Ou alors il faut chercher un 4 sur une dalle mais gravé sur la face cachée.
Lara secoua la tête en les regardant.
— Je vais quand même pas creuser partout et retourner toutes les dalles. Vous imaginez le travail ?
— Ouais, chanta Séraphine, mais on t'aidera, t'inquiète.
— Ou alors, souffla Claire, les yeux remplis de petits éclairs, on demande Winston, je suis sûre qu'il est au courant. Et s'il ne veut rien dire, il suffit de le cuisiner. On l'attache sur une chaise et on le prive de bibine.
Lara éclata de rire.
— Non mais tu me vois ficeler ce pauvre Wiwi comme un saucisson ? Et même s'il sait quelque chose, il ne parlera jamais. C'est un soldat, il a fait les Indes pour la Reine, il préférerait mourir de soif plutôt que de parler. Et comme je l'imagine, il a donné sa parole à mon père.
— Ou alors il ne sait rien, lança Séraphine, comme tu l'as dit ton père avait ses secrets qu'il ne révélait à personne.
— Exact, approuva Lara, je vais déjà fouiller dans son bureau, je découvrirai peut-être un indice.
— Logique ma chère Watson, gloussa Claire. D'un côté c'est génial, tu aurais pu t'ennuyer dans ta nouvelle vie de châtelaine.
— Je me serais bien passée de ce genre de complications. Moi ce que je veux, c'est une vie de lady occupée aux joies du shopping et des boums. Pourquoi se compliquer l'existence quand on peut faire cool ? Je me vois mal escalader des montagnes et plonger dans les océans. Ce n'est pas mon truc !
— Ça dépend, répliqua Claire, j'avais pas 15 ans je flinguais du zombie à Raccoon City. C'était marrant !
— Beurk, cracha Séraphine, c'est dégueux. Je préfère jouer à Super Mario sur ma console, c'est moins dangereux.
— Chochotte, ironisa Claire.
— De quoi ? envoya sec Séraphine. T'as dit quoi là ?
— Bon les filles, coupa Lara, on va pas se disputer. J'ai toujours pas mon petit haut pour aller avec mon jean à perles. On retourne shoppiner.
Elles sortirent du Diamond Jubilee Tea Saloon en se tenant par la taille et en chantant "All you need is love" à gorges débraillées.
6
La nuit était claire. Il régnait un calme et une douceur d'été agréables. Les grillons grillonnaient et les criquets criquetaient.
Sauf au rez-de-chaussée, dans le grand bureau de sir Croft, où Lara fouillait tous les tiroirs et meubles avec frénésie, le lustre du plafond et les appliques sur les murs inondant la pièce de lumière. Des feuilles par dizaines jonchaient le tapis au mandala tibétain.
Lara avait ouvert tous les tiroirs, rien n'indiquait quelque chose avec le 4. Elle se laissa tomber dans le fauteuil en cuir et poussa un long soupir.
— Dis donc, papa, si tu me vois, tu dois bien te marrer.
Soudain elle remarqua quelque chose derrière un meuble. Cela faisait une petite ombre en coin. Elle se précipita et tira un grand carton à dessin. Pourquoi son père l'avait-il dissimulé de cette façon ? Mais juste assez pour être remarqué si on regardait bien dans la bonne direction ?
Elle s'empressa de l'ouvrir sur le bureau.
— Tiens les plans du manoir ! OK, il a été construit en 1722. Peut-être qu'il y a des passages secrets. Voyons voir ! Non, rien de spécial.
Elle écarta deux grandes feuilles et resta figée devant un autre plan.
— C'est toujours le manoir, mais en 1940 pendant la guerre il a servi de QG et surtout… d'hôtel ! Le premier et le deuxième étage étaient des chambres et… numérotées ! Et il y a une chambre 4 !
Un vertige s'empara de Lara.
— Oui mais si je me réfère au plan, cette chambre se situe au premier étage entre l'une des bibliothèques et le salon de musique, sauf qu'à cet endroit il n'y a rien. Ou alors…
Lara fila dans le couloir comme une flèche, monta l'escalier quatre à quatre et se retrouva au premier.
Elle passa devant la porte de la bibliothèque et gagna la porte du salon de musique. Entre les deux il y avait une distance d'une cinquantaine de mètres.
Elle se plaça à mi-distance entre les deux portes, face au mur et posa ses deux mains à plat sur la tapisserie aux motifs victoriens.
— Ouais ! s'exclama-t-elle. Il y a une porte derrière, on le sent bien. Génial ! Bon, reste plus qu'à l'ouvrir.
7
Winston ouvrit un œil, puis le deuxième. Il ne rêvait pas. Le bruit venait du manoir. Des bruits bizarres qui résonnaient jusque dans sa chambre au deuxième étage. Peut-être des cambrioleurs !
Il alluma la lampe de chevet, se leva avec son bonnet et sa longue chemise de nuit blanche, et empoigna une arquebuse posée derrière l'armoire. Il sortit en traînant ses pantoufles sur le carrelage.
Lara était en train d'arracher la tapisserie avec une éponge imbibée d'eau et une truelle. Un encadrement de porte rempli avec du plâtre commençait à apparaître.
Winston secoua la tête. Il sentait que la vie du manoir allait changer. Tout ne serait plus comme avant. L'image de la petite Lara lisant sagement "Alice au pays des merveilles" à l'ombre du grand tilleul dans le jardin s'estompait dans le passé.
Il fila d'un pas léthargique vers un petit meuble posé entre deux armures médiévales. Posa l'arquebuse contre le mur et plongea sa main dans un grand vase. Dix secondes après il se versait un verre de Cherry.
Lara avait enlevé tout le plâtre qui faisait office de surface lisse. La porte était bien là , semblable aux autres portes de l'étage. Sauf qu'elle était fermée à clé. Et pas question d'enfoncer du bois massif ou de démonter une serrure médiévale sans vis.
Winston secoua la tête et répondit, la langue chahutée par les molécules d'alcool :
— Je pense en toute logique qu'il faut trouver la clé. Le manoir a été un hôtel, et qui dit hôtel dit réception et donc…
— Mais oui ! s'écria Lara en lui coupant la parole. Mon cher Wiwi, vous êtes un ange !
Elle le gratifia d'une bise sur la joue et fila au rez-de-chaussée.
— Voyons voir, si je pars de l'entrée, le comptoir devait être soit en face, donc juste entre les deux passages, là où se trouve l'horloge.
Elle poussa l'horloge sur le côté qui sonnait deux heures et tâta la surface du mur.
Dix minutes plus tard, la tapisserie arrachée, Lara découvrit un panneau en bois qu'elle n'eut aucun mal à enlever.
Et une vingtaine de casiers s'offrit à ses yeux émerveillés. Dans chaque casier pendait une clé à un crochet doré.
Elle s'empara de la clé numéro 4 avec un éblouissement de joie indescriptible et fonça vers l'escalier.
8
Lara alluma la lumière et faillit tomber à la renverse. C'était une pièce semblable aux autres de l'étage, mais avec un bric-à -brac invraisemblable. Des cartes du monde s'étalaient sur les murs, avec des photos scotchées et des feuilles remplies d'annotations. Il y avait bien deux fenêtres fermées aux vitres masquées à l'extérieur par des sortes de panneaux.
Un bureau trônait au centre de la pièce, surchargé de dossiers. Elle remarqua une enveloppe posée bien en évidence sur un sous-main en cuir rouge. Assise dans le fauteuil en cuir que son père avait dû occuper pendant des heures, elle décacheta l'enveloppe et lut la lettre.
"Ma petite Lara chérie, je suis sûr que tu trouveras l'énigme et que tu ne m'en voudras pas pour avoir joué avec le mystère. Le but était de te mettre à l'épreuve et d'exciter ta curiosité et ton sens de l'aventure. Car il faut bien commencer quelque part, pas vrai ? Tu as donc réussi la première étape. Tu te rappelles le parcours du combattant à douze ans ? Malgré ton refus, je savais que tu avais l'âme d'une aventurière, il suffisait juste d'attendre le bon moment pour réveiller cette passion. Même si en lisant ces lignes, tu n'en as pas encore véritablement conscience. Je sais que tu es digne de reprendre le FLAMBEAU et de marcher dans mes traces. Tu verras que la vie est beaucoup plus intéressante avec des mystères à résoudre, et crois-moi, le monde en est rempli. Tu ne t'ennuieras pas une seule seconde. Pour la deuxième étape, LA LUMIÈRE TE MONTRERA LE CHEMIN, cherche dans le manoir et en-dehors, VOIS ELLES et tu trouveras la cache secrète. Une petite épreuve de plus pour te montrer combien la vie d'une exploratrice peut être passionnante. Tu le constateras en découvrant mes recherches. Je te souhaite beaucoup de bonheur dans cette nouvelle vie. Ton père qui t'aime de tout son cœur.
Sir Richard Croft"
Des larmes coulaient sur les joues de Lara. Elle replia la feuille et la remit dans l'enveloppe. Le carillon de Big Ben s'envola d'une horloge murale fixée à côté d'une bibliothèque et sonna deux heures et quart.
Lara estima qu'elle en avait fait assez pour cette nuit. Elle éteignit la lumière et sortit dans le couloir.
Winston était allongé près d'une armure et ronflait, une bouteille de Cherry vide et un verre posé sur le sol. Elle esquissa un sourire et regagna sa chambre.
9
Séraphine poussa un cri d'excitation, la tête levée vers le toit du manoir, les couettes agitées dans tous les sens.
— Voilà pourquoi on ne voyait pas les fenêtres. Il y avait ces panneaux devant avec l'imitation comme les briques du mur. Trop génial !
— Oui, souffla Claire, mais en attendant il faut trouver cette fameuse lumière, "vois elles" c'est sûrement plusieurs trucs féminins à voir, oui mais quoi ? Et ça doit être un flambeau, le mot est aussi en majuscules.
— Bon, allez les filles ! envoya Lara. On va fouiller la pièce et on verra bien.
Séraphine s'extasia avant de franchir la porte de la mystérieuse chambre numéro 4.
— Quand même dingue ! C'était caché depuis des années et tu n'as jamais rien soupçonné.
— Wouah ! s'exclama Claire. Une vraie caverne d'Ali Baba. Cela m'étonnerait que ce soit planqué là , il a bien dit : dans le manoir ou en-dehors, donc le jardin, le parc, peut-être le parcours du combattant.
Lara commença à éplucher les dossiers sur le bureau.
— Eh ben dis donc ! Papa en a fait des enquêtes. L'Eldorado, le trésor de Rennes-le-Château, l'Atlantide, le continent Mu.
— Z'avez vu les livres ? s'exclama Séraphine en louchant les rayons. "La doctrine secrète" de madame Blavatsky. Le "Mutus Liber". "Les demeures philosophales" de Fulcanelli. Ton père donnait dans l'Alchimie, peut-être qu'il avait découvert la Pierre Philosophale. Si ça se trouve, y a la formule pour faire de l'or.
— Si je la trouve, envoya Lara, on se paye des vacances éternelles. Voyages non-stop en première classe, palaces cinq étoiles, et fêtes tous les soirs.
— Chouette ! chanta Séraphine en agitant des couettes joyeuses.
Claire fouillait dans des cartons. Elle exhiba une sorte de longue banane en bois.
— Efficace pour taper du zombie mais vu l'extrémité elle doit servir aussi à un autre usage.
Les filles rigolèrent.
— Il faut trouver un flambeau, lança Claire, il doit bien y avoir un truc qui y ressemble. Et après il faut peut-être l'allumer ou le manœuvrer, et ça ouvre un passage secret.
Lara s'était levée et passait en revue les photos et les notes scotchées sur les murs. Elle s'arrêta devant une carte représentant les cinq continents.
— Venez voir ça ! La Terre est plus grande qu'on l'imagine, il y a d'autres continents au delà du pôle Sud. Je me rappelle que mon père était allé là -bas. Il m'avait dit un jour : "Lara, tu feras connaître au monde ce qu'on nous cache."
— Ah ben tout s'explique ! chanta Claire. Voilà pourquoi la NASA ne publie jamais de vraies photos de la Terre vue de l'espace. Ce sont toujours des images retouchées. Et pourquoi le Pôle Sud est déclaré zone fermée par les militaires. Quand même des pourris !
— Bon les filles, coupa Lara, assez blablaté, on fait tout le manoir et on file dehors chercher ce fameux flambeau.
10
Il était pas loin de midi quand Lara se réveilla. Une lumière dorée inondait la chambre. Elle resta quelques secondes, la tête enfoncée dans l'oreiller moelleux, avant de s'éjecter d'un bond du lit.
Winston s'affairait dans la cuisine. Il jeta un œil à Lara arborant une minijupe écossaise et un tee-shirt avec le dirigeable de Led Zeppelin.
— Les recherches ont-elles été fructueuses ? demanda-t-il en rinçant une salade frisée dans l'évier.
— Rien du tout, souffla Lara en prenant une pomme dans une jatte en cristal. On a fait tout le manoir, le parc et le jardin avec le labyrinthe. Pas un seul flambeau. Juste des lances et des épées, là il y en a à revendre. Claire voulait prendre celle de la statue, elle est montée sur le cheval, mais impossible de l'enlever de la main. D'ailleurs il faudra remettre de l'eau dans le bassin.
Winston s'essuya les mains à son tablier, alla d'un pas mesuré vers un grand buffet sculpté de blasons et d'angelots, et revint avec un album photos.
— Votre père m'a demandé de vous le donner.
— Ah ouais ? s'étonna Lara en le prenant. Pourquoi maintenant ?
— Je ne sais pas, votre père avait certainement son idée.
Lara s'assit à la table et l'ouvrit en croquant dans sa pomme. C'était des photos de son enfance et de sa jeunesse, quand elle faisait de la balançoire dans le parc, jouait au badminton avec son père, se baignait dans le bassin avec la statue du cavalier à cheval exhibant dans sa main… un flambeau !
— Mais ce n'est pas une épée ! s'exclama Lara. Il tient un flambeau ! A l'époque il y avait un flambeau ! Mais je ne m'en souvenais plus, j'étais petite ! Et on l'a remplacé avec une épée !
Lara bondit de sa chaise et courut dehors vers la statue. Elle enjamba le rebord du bassin et fit le tour du socle. En tâtant la pierre, elle remarqua un endroit plutôt mou, comme une imitation de pierre semblable à celle des panneaux en fausses briques sur les fenêtres.
Le temps d'aller et revenir avec un tournevis, elle perfora sans difficulté la fausse pierre et découvrit une cavité avec des boutons ronds. Vingt-six exactement avec sur chacun une lettre de l'alphabet.
Elle pensa immédiatement à la phrase "La lumière te montrera le chemin". Et comprit aussitôt le sens de "vois elles".
— Mais bien sûr ! s'exclama-t-elle. Ce sont les voyelles ! Et pour le code, il suffit de prendre les voyelles de la phrase.
Excitée au plus haut point, elle tapa sur le clavier de l'alphabet "a u i e e e o e a e e i".
Un bruit de pierre qui bouge résonna dans son dos. Elle se retourna. Une trappe s'était ouverte dans le bassin.
11
Claire arracha presque la sonnette en tirant comme une forcenée sur la chaînette.
La porte s'ouvrit sur un Winston impassible et stylé.
— Ben alors ! lança-t-elle. Ça fait au moins deux jours, plus de nouvelles de Lara. Elle est malade ?
— On s'inquiète, gribouilla Séraphine, les couettes inquiètes. Elle ne répond pas à nos sms.
— Si ces demoiselles veulent bien me suivre, articula Winston en se dirigeant vers le jardin.
Lara escaladait un bloc du parcours du combattant. Vêtue d'un short, d'un débardeur et de rangers. Un ceinturon à la taille avec deux revolvers dans des holsters noués sur les cuisses. Une longue natte virevoltant sur un petit sac à dos.
— Ben ça alors ! souffla Séraphine. Je le crois pas !
— Moi non plus, s'étonna Claire, c'est la première fois que je la vois faire du sport. Et qu'est-ce qui a provoqué ce changement radical ?
— Miss Lara a découvert la cache secrète au flambeau, expliqua Winston.
— Génial ! s'écria Séraphine. Mais elle était où ? Y avait un trésor ? Des lingots d'or, des bijoux ?
Winston résuma pour la statue et ajouta :
— Il y avait juste la tenue que miss Lara porte et les revolvers. Si ces demoiselles veulent bien encore me suivre.
Un lanceur de plateaux d'argile attendait dans l'herbe, Ã la fin du parcours. Winston s'agenouilla devant et attendit.
Lara ne tarda pas à surgir, suspendue à la tyrolienne. Elle cria aussitôt à Winston, sans prêter attention aux filles, en dégainant un revolver :
— Envoyez !
Un plateau d'argile s'envola dans l'air. Une balle l'éclata en morceaux.
Une fois les vingt plateaux éclatés, Lara rengaina son deuxième revolver et toisa les filles :
— Désolée mais je dois filer au Pôle Sud, le temps de dégager le passage et de révéler la vérité au monde, je file à Rome chercher l'évangile secret de Judas au Vatican. Après on se fera une petite bouffe.
Lara les embrassa, colla une bise sur la joue de Winston et se barra en courant vers le manoir.
Dix minutes plus tard, elle fonçait vers la grille d'entrée, à califourchon sur une Duccati 996 dans un ronflement de moteur, la natte qui flottait au vent, jaillissant sous le casque intégral.
— Bon ben, chantonna Claire encore sous le choc, on va se faire un peu de shopping.
— Ouais, gargouilla Séraphine, c'est les soldes.
Winston les regarda s'éloigner vers la Buggy. Il sortit du creux d'un arbre une bouteille de Old Scotch et s'envoya une longue rasade au goulot derrière son nœud de papillon.