par Phantom_Blue » 08 Fév 2010, 09:03
Épisode 5
Rongée par l'acide urinaire, la porte ne fut plus qu'un trou béant au métal tordu.
Le Corrector pénétra dans le forum, ses articulations robotiques coulissant dans un huilage soyeux, les mitrailleuses de ses bras pointées en avant.
En face, planquées derrière des sacs de sable entassés, Nautica et Ladyrianne appuyèrent farouches sur les détentes de leurs armes.
Un vacarme de guerre ébranla le silence, puis le bruit cessa. La fumée se dissipa.
Toujours debout, intact, le Corrector lâcha un long rire lugubre :
— Mouahahahahahahahaha !
— C'est pas vrai, souffla Nautica, il a rien. On ferait mieux de filer avant qu'il riposte. Je tiens pas à finir le soutif en passoire.
Une partie du dôme avait fondu. Une large ouverture laissa passer Laraider suspendue à un fil.
— Tremblez ! Ma vengeance sera terrible !
Un PM vissé dans les doigts, Demonise rafala soutenu, le corps secoué par les vibrations de l'arme. Il serra les mâchoires, ses dents jouaient des castagnettes.
— Mouihihihihihihihihihihi ! Tu ne comptes tout de même pas m'arrêter avec tes petites balles ?
Affolé, il jeta le PM et piqua un sprint dans le couloir. Il se voyait prisonnier des pattes velues de Laraider, fixant impuissant les énormes mandibules voraces s'approcher en claquant de sa tête. L'image du placard à balais flasha dans son esprit.
Après une course en zigzag dans les couloirs, il l'atteignit enfin, se retourna, le cœur battant. Personne derrière lui.
Respirant un grand coup, il ouvrit la porte et entra.
— Noooon ! cria une petite voix féminine. Pitié ! Ne me faites pas de mal !
Dans la clarté du couloir inondant l'intérieur du placard, recroquevillée dans le fond, il distingua une fille.
— Euh, bégaya presque Demonise, non, n'ayez pas peur, je vous veux aucun mal, j'essaye moi-même d'échapper aux monstres.
Il alluma une petite veilleuse suspendue au plafond et referma la porte. Elle le regardait avec des grands yeux clairs. Il la trouva belle, douce, fragile. Elle esquissa un petit sourire. Il fut troublé. Elle portait une jolie robe légèrement décolletée. Ses jambes étaient soyeuses.
— Venez vous asseoir à côté de moi, murmura-t-elle.
Il tala ses fesses intimidées sur le sol. Elle plongea ses yeux dans les siens. Puis elle se rapprocha de lui. Posa sa tête sur son épaule. Un parfum de rose inonda ses narines.
— Personne ne vous fera de mal, articula-t-il, personne…
Elle redressa sa tête, l'enveloppa avec un sourire, rapprocha son visage du sien, ferma ses yeux et posa ses lèvres douces sur sa bouche.
Nautica et LadyRianne se retrouvèrent coincées dans une impasse. Elles avaient couru comme des folles, ne réfléchissant pas trop à la direction, avec la seule idée d'échapper au Corrector.
— Mais c'est quoi ce couloir ? demanda LadyRianne.
— C'est en construction, répondit Nautica, c'est Laraider qui voulait faire une nouvelle rubrique.
— Quoi comme rubrique ?
— Evadez-vous avec Lara Croft.
— Comique.
Elles voulurent rebrousser chemin, mais le Corrector leur barra le passage avec son corps robotique imposant.
— Doucement les poulettes ! Mouahahahahahahaha !
Elles reculèrent dans l'impasse, le dos au mur.
Il pointa ses mitrailleuses, les secondes défilèrent, les filles attendaient, le soutif battant.
— Pourquoi il tire pas ? murmura LadyRianne dans un murmure angoissé.
— Il arrête pas de regarder vers le couloir, souffla Nautica, on dirait qu'il attend quelque chose.
La voix grave et grammairienne du Corrector emplit l'impasse.
— Je vais vous laisser une chance. Si vous répondez juste à mes questions, je vous épargnerai. Dans la phrase : "Les cerises ont été cueillies ce matin", comment écrivez-vous cueillies ?
Les filles se concertèrent à voix basse :
— Faut dire "cueilli", y a le verbe avoir, cueilli s'accorde pas avec cerises… Non, attends, c'est "ont été", c'est le verbe être… T'es sûre ?… Euh, attends, y a peut-être un piège…
— C'est moi qui vais te cueillir les cerises ! tonna la voix de Babou.
Le Corrector se retourna et loucha sur la petite fiole qu'elle tenait dans sa main.
— Serait-ce… commençat-il.
— Oui, l'antidote.
Elle jeta la fiole sur lui. Le verre éclata sur sa poitrine en métal, un liquide blue jaillit. Aussitôt une fumée monta dans l'air comme un épais brouillard.
— Purée on voit plus rien, souffla LadyRianne.
Quelques secondes après, la fumée se dissipa comme par enchantement, laissant place au Corrector redevenu humain et hagard, les bras ballants.
— Je… suis… le… Corrector, gargouilla-t-il,…vous devait m'aubéir…
— Ça a marché ! s'écria joyeuse Nautica. Bravo Babou !
Laraider avait à peine franchi le coin d'un couloir, les pattes batifolantes, quand elle se retrouva face à une Jennifer campée sur ses deux bottes, les fesses joliment rebondies dans sa combinaison, une fiole à la main.
— Le cinéma est terminé, Laraider.
— Tu comptes m'arrêter avec ton flacon ?
— C'est l'antidote, baby.
Et elle le lança sur Laraider. Le verre éclata, le liquide blue inonda la poilure arachnéenne. Là aussi, une fumée épaisse envahit le couloir. Et quelques secondes après, elle se dissipa d'un coup.
Laraider se tenait debout, comme alcoolisée. Elle articula, les dents dans le désordre :
— Vous… ête… en état de… banissement pour… outrage à waibmatrisse…
— Excellent, sourit Jennifer. On est les meilleures.
Dans la rubrique "Le coin photos", Full-Throttle et Maxence roupillaient, les souffles aromatisés au Jack.
Dans la rubrique "mode", Ramona écouta les bruits de mitraillage qui lui parvenaient des couloirs, et continua à appliquer son mascara devant sa glace en haussant les épaules.
Affalée sur une pile de "Salut les copains" dans la rubrique "Nostalgie", Nicole somnolait, la langue salivant encore les longues gorgées de liqueur de cassis, pendant que la voix de Johnny chantait en sourdine : "Retiens la nuit".
Toutes les fautes étaient réunies dans la grande salle du forum. Une joie générale embrasait tout le monde. Sauf Laraider et le Corrector, assis dans des fauteuils roulants sur l'estrade, les regards perdus dans le vide.
Babou prit la parole.
— C'est avec une grande émotion que j'ouvre une nouvelle ère du forum basée sur la liberté d'expression et le droit à la faute. Terminé le temps où des personnes aveuglées par un perfectionnisme fanatique corrigeaient impitoyablement en instaurant un climat de terreur. Nous faisons tous des fautes et c'est ce qui nous rend humain. Je donnerai cet exemple de Matrix et de cette matrice créée par l'Architecte, privée de toutes émotions et aseptisées de fautes, et qui avait échoué. La perfection conduit au néant. La faute nous ramène à la vraie vie, celle de tous les jours où nous pouvons nous réveiller le matin, le sourire aux lèvres, et aborder la journée sans trembler de peur d'un faux pas orthographique. Les fautes ont une âme. Les fautes ont un cœur. Les fautes sont nos amies.
Des centaines de pattes applaudirent à tout rompre.
Soudain la grande porte de la salle se ferma dans un clac sonore.
Des clapets s'ouvrirent dans les murs, et des canons de mitrailleuses bandèrent comme des sexes de métal.
Pendant que les sièges des membres coulissaient sur les côtés à l'écart des fautes.
Et sous les yeux horrifiés de Babou, les canons crachèrent des salves de mort.
Déchiquetés par le tsunami de balles, les corps des fautes explosèrent dans des gerbes de liquides poisseux, ponctués de couinements effroyables.
Quelques milliers de balles plus loin, il ne resta qu'une vaste bouillie jonchant le sol.
Et c'est sous le regard halluciné de Babou, que Laraider et le Corrector se levèrent de leurs fauteuils, la mine triomphante.
Les autres membres n'en croyaient pas leurs yeux.
La porte du forum s'ouvrit et Marco Bartoli entra, lui aussi triomphant.
— Ton plan à marché à merveille, caqueta Laraider.
— Merci, répondit le Corrector dans un remerciement narcissico-mégalomaniaque.
— Enfin ça veut dire quoi ? questionna Babou, toujours sous le coup de l'émotion.
— Désolé de t'avoir fait jouer le rôle de l'appât, chanta le Corrector, mais il fallait bien que quelqu'un l'assume. Mon plan était d'éliminer toutes les fautes du forum, mais je savais que certaines se planquaient. Il fallait trouver un moyen pour les attirer et les regrouper. Grâce à Marco Bartoli et à ses projection holographiques, j'ai pu réussir. Elles nous ont transformées en monstres. La porte n'a jamais fondu, une projection vous l'a fait croire, je l'ai simplement ouverte, et vous avez tiré sur la projection qui me représentait. Bien entendu, il n'était pas question pour moi de blesser les membres du forum.
— Pareil pour le dôme, enchaîna Laraider, en fait je suis passée par une ouverture cachée que je suis seule à connaître. Les projections du dôme fondu et de moi en araignée géante ont fait le reste. La fumée était là pour nous laisser le temps de reprendre notre place, une fois la projection effacée, après l'antidote. Le forum est truffé de passages secrets que je suis seule à connaître, avec le Corrector bien sûr, ce qui nous ont permis de suivre les événements à quelques pas. Et grâce aux hologrammes créés par notre cher Marco Bartoli, un Einstein de l'informatique, ce fut un jeu d'enfant.
Marco Bartoli bomba le torse et releva le menton, son sourire s'étirant jusqu'aux vertèbres cervicales.
Une consternation consternante maquillait le visage consterné de Babou.
— Mais l'antidote ?
— Mouahahahahahaha ! Que veux-tu qu'un antidote fasse sur un hologramme, à se demander encore s'il aurait été efficace.
— Mais le moustique vocabularis?
— Bzzzzzzzzzz, imita le Corrector, en agitant ses doigts comme des ailes de moustique qui s'agitent.
Nautica souffla à LadyRianne :
— Je comprends maintenant pourquoi il attendait et qu'il ne nous a pas rafalées.
Babou réfléchit quelques instants et demanda :
— Mais si c'était un hologramme, comme la fiole s'est-elle brisée sur lui ?
Là c'est Marco Bartoli qui répondit, les cordes vocales agitées de spasmes jouissifs :
— Durcissement du flux lumineux en pré-matière suffisante pour faire éclater une fiole de verre.
Babou fixa le Corrector dans ses petits yeux cruels et bafouilla, la babine bafouillante :
— Mais… j'avais donné ma parole à "Je suit content".
— Tu sais, chanta le Corrector, une parole donnée à une faute, ça ne compte pas.
— Pour moi, si ! répliqua sec Babou.
Et son pied fusa à la vitesse de l'éclair.