par Phantom_Blue » 15 Sep 2009, 08:10
Épisode 24
Assis dans un fauteuil face à une glace ornée d'arabesques baroques, le diable se mirait en souriant. Debout près de lui, son coiffeur attitré, le démon gay Valentinus, peignait ses longs cheveux noirs avec un soin extrême en le complimentant :
— Votre altesse des ténèbres est d'une beauté sans pareille… Nul ne peut égaler l'éblouissance de votre magnificence des ombres… Vous allez être merveilleusement diabolique pour cette grande nuit historique…
A côté de lui, dans un fauteuil semblable, la comtesse Babou donnait des recommandations à son démon coiffeur, Cherubinus, tout aussi gay que Valentinus :
— Peut-être une ou deux mèches roses.
— Oui, votre majestueuse beauté, chanta le démon coiffeur, votre goût est des plus exquis… Elles rehausseront votre éclat impérial d'une note de couleur merveilleuse…
Assis à côté de la comtesse, dans un autre fauteuil, le marquis Krystos se faisait coiffer par Cupidonicus, un démon androgyne polymorphe à la voix de castra :
— Quelle profil divin, s'exclamait extasié le démon aux gestes d'un maniérisme extrême, vous incarnez le modèle idéal que tout démon rêverait d'être… Ils se prosterneront tous à vos pieds…
Ce qui provoqua chez le marquis une hilarité narcissique, pour ne pas dire un narcissisme hilare :
— Mouahahahaha.
Pendant que Cherubinus colorait une mèche de ses cheveux, la comtesse alluma une égyptienne aux épices de Louxor, souffla une fumée veloutée sur sa glace, brouillant son image dans un brouillard de volutes pharaonesques, et lança :
— Vous pensez que tout se déroulera sans problème ?
— Ne soyez pas inquiète ma chère, répondit le diable en faisant apparaître dans ses doigts une belzébuthienne allumée, personne n'est au courant, ce sera une surprise totale.
— Mouahahahaha.
— Je ne sais pas, insista la comtesse, j'ai comme un pressentiment. Je suis sûre que ce ne sera pas aussi facile qu'on l'imagine.
— Qu'importe, souffla le diable, mon armée s'occupera des résistants s'il y en a. Ce sont les meilleurs monstres de l'enfer. L'affaire sera réglée en un tour de main.
— Mouahahahaha.
Après son rire devenu légendaire dans les limbes, une pakistanaise fumant aux lèvres, les yeux fixés sur son ineffable visage se reflétant dans la glace, le marquis précisa :
— Ma chère, cette fois-ci nous deviendrons les maîtres du monde.
— Nous avons quand même déjà échoué deux fois, fit-elle remarquer, appréciant la mèche rose qui venait d'apparaître dans sa chevelure à la Betty Boop. Et on dit bien : "Jamais deux sans trois."
— Suffit ! s'énerva le diable en agrippant Valentinus au cou. Cette nuit je dominerai le monde. Et toi, si tu ne fais pas plus briller mes cheveux, je te dévore.
— Oui votre indicible et glorieuse divinité de toutes les obscurités, bafouilla le démon apeuré, ils vont briller d'un éclat sans pareil qui aveuglera tous vos ennemis…
— Mouahahahaha.
Maat étira son corps souple et félin d'une nudité merveilleuse sous le drap noir du vaste lit décoré de boiseries sculptées de visages démoniaques et soupira, ses yeux en amandes sombres :
— Dis, daddy, ça va être marrant ?
— Oui ma puce, répondit le diable assis sur le bord du lit, en caressant ses cheveux de soie noire, tu vas beaucoup t'amuser.
— Mais pourquoi tu m'as pas emmenée les premières fois ?
— Tu dormais si bien, je n'ai pas voulu te réveiller. Quand tu dors, tu es si heureuse dans tes cauchemars.
— C'est vrai, daddy, je torture pleins d'humains, je m'en lasse pas. Est-ce que je pourrai aussi en torturer dans le manoir ?
— Tout ce que tu voudras, ma puce.
— Chouette. Mais on n'emmène pas Hécate, elle a été méchante. Je l'ai enfermée dans la crypte, elle a pas le droit de prendre mon fouet, il est rien qu'à moi.
— Oui, ma puce, mais ne sois pas si sévère avec ta sœur, elle n'a que 3000 ans, elle est encore jeune.
— C'est pas une raison, daddy, je suis l'aînée, elle doit m'obéir. Hein, qu'elle doit m'obéir ?
— Oui, ma puce. Allez, prépare-toi, il est 22h, nous partons dans deux heures.
Une fois le diable sorti de la chambre, une bouille grimaçante de gargouille caméléonesque surgit de dessous le lit et grimaça :
— Grouik… je veux aussi aller au manoir… grouak…
— Bien sûr, mon petit Glurp adoré, viens faire un gros bisou à maman !
La gargouille de la taille d'un Yorkshire et demi froissa le drap avec ses cinq petites pattes griffues et se lova entre les bras de la fille du diable. Sa langue érectile et gluante bava une longue coulée de langue baveuse en s'enroulant autour du cou de nacre laiteux.
La belle diablotine récita d'une voix abyssale ponctuée d'intonations solennelles :
— Et dans le miroir brisé de mon âme ensanglantée… ma vie telle une nymphe éclaboussée d'outrages se meurt… et mon cœur à jamais perdu égrène les derniers battements du désir… aux sons des cloches funèbres qui tintent dans la nuit blessée par les dagues de l'orage…
La comtesse et le marquis déambulaient d'un pas nonchalant dans les allées rouges du vaste parc éclairé par des réverbères enflammés. Derrière eux, le château du diable avec ses donjons et ses six cent soixante six pièces, se dressait massif sous les voûtes en pierre souterraines. Un gros lézard cromagnesque traversa l'allée en se tortillant et disparut dans une touffe de cannabis rose.
La comtesse aspira la fumée d'une tonkinoise aux épices de Chine, savourant le tissu léger de sa robe Courreges blanche ornée d'un cercle noir, ses bottes argentées à talons lui donnant un air de Barbarella. Elle avait voulu faire sobre, prévoyant une éventuelle partie sportive à cette nuit.
Le marquis, lui, avait donné dans la démesure, vêtu comme un prince des mille et une nuits, regorgeant de dentelles et de soie, ses longs cheveux noirs tressés dans une natte Lara Croftienne, ses cuissardes brillant de cuir sur des collants de danseur étoile.
Une triple pakistanaise envoyait des volutes pimentées dans le clair obscur brûlant.
— Je me demande si nous avons bien fait de relancer la partie, s'interrogea la comtesse, sa babine retroussée à l'asiatique. Les choses ne seront pas aussi faciles qu'on se l'imagine. Je sens des ondes étranges.
— Tout se passera merveilleusement bien cette fois-ci, chanta le marquis, le menton volontaire. Elle me l'a dit, n'est-ce pas, ô toi ma mystérieuse adorée ?
La tête de Croupy apparut dans le flot de dentelles de sa chemise. Les deux yeux globuleux fixèrent la comtesse, qui ne put réprimer une esquisse de recul. Ce qui fit rire le marquis à outrance.
— Mouahahahaha.
Dans le plus grand donjon, dans le donjon principal, dans le plus haut donjon, bref, debout devant un chaudron bouillonnant sur un feu soutenu, le Master Rampage, maître absolu de philtres et potions en tous genres, diplômé en maléfices et autres rituels sataniques, ajoutait des plumes de rhinocéros et de la poudre de corne de cigognes, à moins que ce ne fut le contraire. Il ne savait plus, enivré par les vapeurs aromatiques qui montaient du bouillon comme des danses de démones lascives.
Les cheveux ébouriffés à la punk, la soutane nerveuse, il recula pour reprendre son souffle.
— Je hais ces nuits de fin du monde, maugréa-t-il, si le diable n'avait pas échoué les deux fois précédentes, je serais tranquille au bord d'une piscine à savourer un cocktail de mandragore avec ma belle Gothika. Et là je dois préparer une potion de vigueur pour toute son armée. Bon, voyons voir, ai-je bien tout mis comme l'explique mon oncle Panoramix dans son traité ?
Il jeta un œil sur son grimoire, face à la fenêtre ogivale donnant sur le parc du château.
— Alors, langue de vipère, ovule de crotale, sphincter de criquet, poudre de bec de cigognes… ou est-ce de cornes de cigognes ?… non, attends… Et puis c'est bon, il va être minuit dans pas longtemps, je ne vais pas m'amuser à recommencer… Faisons juste un petit test…
Il attrapa du bout des doigts une blatte qui cavalait sur sa table, trempa une pipette dans le bouillon, et humecta l'insecte avec une goutte du liquide de vigueur.
Relâchée sur la table, la blatte fonça droit sur une cornue en verre et donna des petits coups de boule dedans.
— Je pense que le test est positif.
Il retourna vers le chaudron, éteignit le feu et appela des trolls pour qu'on le transporte à la caserne. Il les suivit dans le couloir où des flambeaux brûlaient entre des boucliers et des hallebardes fixés aux murs.
Sur la table, la blatte se tordit dans tous les sens et se noua en double huit.
Dogon jeta les trois dés à treize faces sur la table en bois et ouvrit une gueule garnie de crocs pointus.
— 38 ! Je t'ai encore battu ! Et j'ai failli avoir un flash ! Je suis en veine ce soir !
Agar gratta sa crête cornue avec ses doigts griffus et avala une rasade de bière d'orties avant de grogner :
— J'espère que j'aurai plus de chance cette nuit. J'ai hâte d'occire de l'humain.
— Et moi donc, les femmes sont délicieuses à dévorer et je compte bien me remplir la panse avec.
Autour d'eux, d'autres monstres attablés jouaient aux dés et buvaient en écoutant un air de flûte soufflé par un troubadour cornu.
— Il paraît que c'est la troisième fois que le diable tente un retour, gargouilla Agar avant de jeter les dés. Les deux premières fois ont échoué. Sa vanité a dû en prendre un coup. Il espérait réussir seul, mais là il a besoin de nous. 27, à toi !
Dogon fourra un doigt griffu dans une de ses quatre narines et en sortit un asticot remuant piqué sur le bout de son ongle. Il la croqua d'un coup de croc croquant. Puis il s'approcha de son compagnon d'armes et murmura :
— J'ai entendu dire que le diable voulait épouser une humaine, une certaine Lara Croft.
— Quelle idée d'épouser de la nourriture.
— Je ne te le fais pas dire, mais bon, si ça lui fait plaisir.
Il jeta les dés et s'exclama :
— 39 ! Le flash ! Décidément, je sens que quelque chose d'exceptionnel va m'arriver cette nuit !
Un varan à trois jambes et quatre bras au faciès hideux entra dans la taverne et brailla d'une voix gutturale :
— La potion est arrivée ! Nous allons la distribuer ! Après vous prendrez vos armes ! Nous partons dans une heure ! Et que la victoire soit avec nous !
Une multitude de grognements s'éleva dans les airs et des lances se plantèrent au plafond dans une furia de joie monstrueuse et paillarde.