
THE THREAD OF LIFE
Prologue
Le 16 octobre 2004, à 16h53 exactes, le Boeing 747 en provenance de l’aéroport Charles de Gaulle, à Paris, se posa sur la piste 17 de l’aéroport international John-F.-Kennedy de New York, avec tout juste 14 minutes de retard. Les passagers, épuisés par leur long vol sans escale, s’empressèrent de quitter l’avion sous les sourires aimables mais fatigués des hôtesses de l’air postées près du sas d’entrée de l’appareil. Un à un, ils empruntèrent les couloirs qui les menaient vers la sortie, afin de récupérer leurs bagages et de partir au plus vite.
Les deux dernières personnes à quitter l’avion furent deux individus à l’aspect et au comportement étrange, presque inquiétant. Assis au fond de l’appareil, ils avaient peu parlé durant le vol, se contentant d’examiner de vieux livres, échangeant simplement quelques mots à voix basse de temps à autre. Ils n’avaient pas l’air d’un couple ou en tout cas, ne se comportaient pas comme tel. Ils passèrent près de l’équipage et s’éclipsèrent rapidement après un salut courtois. Une grande femme ouvrait la marche, vêtue d’un long manteau qui trainait presque sur le sol et cachait sa silhouette. Ses longs cheveux châtains, emprisonnés dans une lourde natte, lui tombaient presque au bas des reins et encadraient son visage aux traits fins et à la bouche pulpeuse. L’homme qui la suivait était du genre costaud. Ses cheveux mi-longs noirs et ses yeux d’un bleu profond, sombres comme la nuit, contrastaient avec sa peau pâle. Une cicatrice sous l’œil gauche, loin de le défigurer, barrait sa pommette gauche. Il était attirant et malgré l’air mystérieux qu’il dégageait, les trois hôtesses ne purent éviter de le dévisager avec insistance. La plus jeune des trois, une blonde à la langue bien pendue, ne put s’empêcher de lui lancer :
« Bon séjour, monsieur ! »
Il ne se donna même pas la peine de répondre.
Une fois leurs bagages récupérés, l’étrange couple se dirigea vers la sortie en fendant la foule, au milieu des gens stressés. Dans l’immense hall, les gens courraient d’une consigne à l’autre, bagages à la main, entourés d'enfants en pleurs, les yeux rivés sur leurs montres et sur les écrans. Au milieu de ce chaos indescriptible, les deux individus finirent par atteindre la porte principale dans l’indifférence la plus totale et se retrouvèrent rapidement à l’extérieur.
Quelques minutes plus tard, ils montaient dans un taxi et filaient à grande vitesse vers le centre de la ville.
Chapitre 1
Metropolitan Museum of Art, Central Park, New York
22 octobre 2004
Eclairé par les premières lueurs de l’aube, le lieutenant Daniel Saavedra gara sa voiture le long de la 5ème avenue, à une centaine de mètres de l’entrée principale du Metropolitan Museum of Art. Après avoir coupé le contact, il s’extirpa avec difficulté de sa voiture, le corps engourdi et le cerveau encore embrumé par sa courte nuit et les rares heures de sommeil. Il attrapa sa veste sur la banquette arrière de sa voiture en pestant intérieurement contre les horaires impossibles de son boulot et le monde en général. Quelle force mystérieuse empêchait donc les gens de découvrir les cadavres à une heure plus décente ? Sa nuit avait été agitée, entrecoupée de cauchemars et de réveils brutaux…Mieux valait ne pas trop y penser… Le devoir l’attendait.
Quelques minutes plus tard, la façade de l’imposant bâtiment se dressait devant lui, soutenue par ses larges colonnes. Pas de voiture de police devant l’entrée, pas de cordon jaune déployé. Le directeur de l’établissement ne voulait certainement pas se risquer à de mauvaise publicité. Les officiers de police étaient souvent invités –plus ou moins aimablement- à la plus grande discrétion pour ne pas alarmer les foules ni trop attirer l’attention des médias.
Deux femmes en uniforme, visiblement plus réveillées que lui, montaient discrètement la garde au bas des marches. L’inspecteur les accosta tranquillement et leur présenta sa plaque. Après un rapide salut, la plus jeune des deux se proposa pour l’accompagner. Elle le conduisit, après avoir contourné la façade, par une petite porte de service.
« On passe pas par la grande porte, je vois. »
L’officier lui lança un regard plein de sous-entendus.
« Ordres express d’en haut… »
« Je vois. »
L’entrée donnait sur un petit couloir aux murs blancs austères. Une porte entrouverte au fond laissait entrevoir une pièce du musée et de loin, on devinait la partie d’une sculpture. La femme se retourna à demi et désigna sur la gauche, un grand escalier qui s’enfonçait dans les profondeurs du musée, sur deux ou trois étages. Daniel l’y suivit pour accéder au niveau inférieur. Une nouvelle porte, barrée par le cordon policier, et un nouveau couloir, au toit voûté et au faible éclairage, qu’ils franchirent dans le plus grand silence, seulement accompagnés par le son de leurs propres pas et l’écho que leur en renvoyaient les murs. Le jeune homme n’était pas du genre peureux mais la perspective de travailler dans cet endroit lugubre n’était pas vraiment de son goût.
« Nous y sommes. » fit sa collègue en poussant le verrou de la lourde porte qui les séparait de la scène de crime. « Faites gaffe, la porte est lourde. »
Saavedra acquiesa et lui emboita le pas, avant de se retrouver dans une sorte d’entrepôt de grandes dimensions. La température devait avoisiner les 0 degrés et le chaos qui régnait dans la pièce était indescriptible. Des dizaines d’énormes caisses, ouvertes pour la plupart, s’entassaient de part et d’autre. Les tableaux –sûrement de grandes œuvres d’art pour la plupart- jonchaient le sol, certains piétinés et dans un piètre état.
Au centre de ce capharnaüm, entre deux piles de tableaux, gisait le cadavre d’un homme d’une quarantaine d’année, affalé dans une mare de sang. Une entaille nette et profonde lui ouvrait grand la gorge. Le spectacle était assez désagréable, mais apparemment pas assez pour empêcher le légiste de travailler. Près de l’homme en blouse, son binôme, Scott Richardson, observait du coin de l’œil ses moindres faits et gestes. L’inspecteur du NYPD notait quelques détails sur son petit carnet, les lèvres légèrement plissées en une grimace contenue. A son approche, il releva la tête et le soulagement se dessina sur son visage. Il le rejoignit rapidement laissant derrière lui le scientifique à son occupation lugubre.
« Salut ! »
Scott lui répondit par un grand sourire. Maintenant il était tout près et l’inspecteur devait lui parler en levant assez haut le menton pour parvenir à le dévisager. Richardson était une véritable armoire, de presque deux mètres de haut et de large aussi...Il ne devait pas en être très loin. Des mains de boxeur, et une carrure de rugbymen, sans doute pas idéal pour avoir un franc succès devant la gente féminine, mais parfait pour marcher tranquille dans la rue. Daniel ne comptait plus les fois où son physique leur avait sauvé la mise dans des interventions musclées...
« Saavedra te voilà enfin. Je commençais à penser que tu viendrais pas...Je te demande pas si tu as bien dormi. » ajouta-t-il en fronçant les sourcils.
«J'ai l'air si mal en point?»
«Tu as une tête de déterré...»
Daniel grommela et passa la main sur son visage.
« Enfin, passons...Qu’est-ce qu’on a ? »
L'inspecteur consulta ses notes.
«Dean Karell, gardien de nuit du musée, assassiné, ça fait pas un pli...et ce qui inquiète le patron de ce bazar...plusieurs dizaines de peintures cassées, dont une volée."»
«Une ?»
« Ouais. Comme t'entend. Pas mal, hein ? Doit y avoir plusieurs millions rien que dans ton dos, » fit l'homme en désignant une rangée de caisses située près de la porte. Celui qui est venu a tué et est reparti avec même pas de quoi s'acheter un yacht de luxe...»
« Ce sont les collections du musée, c’est ça ? »
« Non, ici, il s’agit de peintures prêtées par d’autres musées. Pour une expo internationale ou un truc du genre. Quelque chose de gros va bientôt avoir lieu ici. Tous les musées du monde vont envoyer certains de leurs tableaux, d’après le directeur. »
L’inspecteur balaya la salle du regard autour de lui. Les peintures s’étalaient et couvraient le sol.
« Ok, et comment tu sais qu’une seule peinture a été dérobée ? »
Scott se retourna pour faire face au cadavre et Daniel suivit des yeux la direction qu’il lui indiquait. Un grand cadre, de près de deux mètres de côté se trouvait près du cadavre. Sa toile n’y était plus, quelqu’un en avait soigneusement découpé les bords et emporté la peinture.
« Pour ça. » continua son collègue. « C’est la seule qu’on ait retrouvée dans cet état. Les autres sont cassées mais ont été laissées sur place. Et beaucoup de caisses n’ont pas été ouvertes. »
« Mais pourquoi emporter une seule peinture ? »
« Peut-être que les autres leur plaisaient pas ? »
Saavedra sourit à la plaisanterie puis se mit à réfléchir à toute vitesse, afin de chercher une logique à cette histoire. De simples voleurs auraient emporté le maximum avec eux…L’explication la plus rationnelle était que le veilleur s’était sûrement fait tué pour avoir surpris les intrus…Peut-être les avait-il fait fuir…Mais ça n’expliquait pas le fait que les autres œuvres soient dans cet état…A moins que…
« Comme s’ils cherchaient quelque chose de précis et qu’ils ont fini par trouver ? » suggéra-t-il, en rompant le silence.
« Ouais. Et qu’est-ce qu’ils cherchaient ? Cette peinture là justement ?»
« J’en sais rien » avoua l’inspecteur en poussant un grand soupir. « Je nage, là . On ferait mieux d’aller interroger les gens…On en sera peut-être un peu plus.»
Les deux collègues se dirigèrent ensemble vers la sortie, et alors qu’ils remontaient l’escalier vers le rez-de-chaussée, Daniel sur les talons de son collègue, une pensée lui traversa soudain l’esprit.
« Et cette fameuse peinture, c’est quoi exactement ? »