Madame Laurette Leglandier, pas loin de la quarantaine, gisait en nuisette baby doll kitsch années 60 sur le carrelage de la cuisine, les membres désarticulés, deux trous plantés dans sa gorge. Il manquait les yeux ou alors c’était les nouvelles lunettes avec des verres creux. Oui, je sais, mon humour est parfois détestable et mal placé.
— Chouette, ils ont crevé maman, envoya d’une voix calme et chantante Nini Moon, depuis le temps qu’elle me pompait l’air.
Mélodie sanglante. Pour comprendre la logique quelque peu bizarre de la situation, Nini et sa mère n’entretenaient pas des relations excessivement flamboyantes. Tout simplement parce que sa mère la copiait sur le plan mode, et Nini elle déteste qu’on la copie sur le plan mode, parce qu’elle veut être originale et ressembler à personne. Je sais, le prétexte peut sembler extrêmement futile, mais c’est ça les filles ! Ça arrive dans les meilleures familles.
Elle tata le corps blanc vidé de son sang du côté des côtes flottantes avec le bout de sa botte pointue, avec en haut deux jarretières fixées sur des bas roses et attachées à un shorty en sky noir qui contrastait avec l’ivoire de ses cuisses. Z’avez vu comment je décris Nini en utilisant une action importante ? Oui, imaginez sa mère dans cette tenue ! Là faut avouer que ça ferait désordre quelque part, non ? D’un côté, je comprends le point de vue de Nini, bien que je ne porte pas de jarretières.
Elle a des faux cils interchangeables, un rouge à lèvres imperméable, un soutif indescriptible, c’est Nini Moon, l’élément féminin de l’agence Paranormal Investigation.
Dans son grand imper en cuir noir, Krystos Shadow secoua sa longue chevelure d’ébène, les doigts bagués fermés sur la crosse d’un fusil à pompe à canon scié.
— Ils ont dû avoir sacrément la dalle cette nuit pour sucer ta mère.
Oui, là non plus ne vous étonnez pas, c’est Krystos, mi-homme, mi-vampire, l’élément indéfinissable de l’agence Paranormal Investigation. Une voyante renommée, dont je tairai le nom, après avoir calculé son thème astral s’est immolée par le feu en criant : « Le fils de Satan est parmi nous ».
— Pauvres goules affamées, soupira Nini, obligées de se taper maman, pas marrant pour elles ! Snif !
Elle dégaina un petit couteau à lame recourbée super aiguisée, s’agenouilla et agrippa les tifs avec les bigoudis de sa mère.
— Tu fais quoi ? que je demandai d’une voix vive et surprise.
Oui, ça c’est moi, Blue Bond, l’élément intellectuel, raisonnable et réfléchi de l’agence Paranormal Investigation, sans quoi elle n’existerait pas, vu les deux autres éléments à tendance plutôt fantaisistes, on va dire.
— Ben je voulais lui autopsier le cerveau.
— Arrête tes conneries, que je m’écriai, ça va pas la tête ?
— Ben je voulais voir si la sienne elle allait. Peut-être qu’elle a même pas de cerveau, ça expliquerait tout.
— Bon, ça va, rengaine ton chlasse. C’est pas comme ça qu’on fera avancer le schmilblic.
— Le quoi ?
— Rien, tu regarderas sur Youtube.
Nini se releva, jacta, une moue sur les lèvres, les lolos gonflés dans un décolleté moulant de corset lacé, souffleta :
— Si on peut même plus rigoler.
— Elle était plutôt bien installée, lança Krystos, sympa le loft.
— Ouais, crachota Nini, quand je pense que je crèche dans une caravane, c’est depuis son non-lieu, avec le fric de l’assurance elle a emménagé ici.
Oui, madame Laurette Leglandier était soupçonnée d’avoir éliminé son mari, on l’avait retrouvé asphyxié dans sa voiture dans le garage, et comme il avait souscrit une assurance vie. Et Nini occupe une caravane sur le bord du canal. Ben elle qui râle toujours contre la vie en ville avec la pollution. Jamais contentes, les filles !
Krysos ouvrit le frigo, jeta un coup d’œil et sortit une canette de Desperados.
— Elle s’embêtait pas ta moman, qu’il envoya.
Il dégagea la capsule d’un coup de dents et siffla la bière aromatisée à la Tequila d’un trait. Rota. Posa la canette vide sur le frigo.
— Dis, Krys, demanda Nini en montrant sa mimine, tu crois pas que je devrais changer de vernis à ongles ? Je le trouve trop pailleté.
— Mais non, il va bien avec ton teint, répondit Krystos en s’emparant d’une autre canette. Il met en valeur le velouté soyeux de ta peau.
— Wouah ! s’exclama Nini, t’es trop chou. Pourquoi Blue il me dit jamais ça ?
— Blue est peut-être doué dans le paranormal, caqueta Krystos, mais il ignore tout des subtilités de la mode, en particulier féminine.
Avant d’engorger la canette, la glotte agitée rythmique.
Nini me cibla avec ses zoeils de filles pleins de cils recourbés au mascara anti-coulées et me tira la langue.
J’aime pas bosser avec des esprits gamins, superficiels et accros aux addictions, ça fait amateur, pas sérieux, désorganisé quelque part.
Krystos posa la bouteille vide à côté de l’autre et me demanda, pendant que Nini reluquait ses ongles dans tous les sens :
— Alors, t’as trouvé des indices ?
— Un truc cloche. Ta mère est en nuisette, prête pour le combat amoureux, mais avec des bigoudis dans les tifs, c’est anachronique chez une femme.
— Comment ça ? demanda Nini.
— Oui, comment ça ? demanda Krystos avant de prendre une troisième canette dans le frigo.
— Quand une femme porte une nuisette de ce genre, elle attend quelqu’un. Elle va pas encore s’enrouler des bigoudis dans les tifs. Le crime a été maquillé.
Krystos avala le liquide houblonneux et tequilien, un index pointé vers moi, pour me dire qu’il allait me dire un truc, mais qu’avant il devait picoler et qu’on devait attendre le temps qu’il picole.
Nini le cibla, puis me cibla, les couettes en expectative. Z’avez vu comment je suis remonté de la pointe de sa botte jusqu’à ses couettes ?
Enfin Krystos déscotcha la bouche du goulot, reprit sa respiration et jacta :
— Exact.
Nini haussa ses épaules nues avec un tattoo de rose sur le deltoïde droit et un tattoo de papillon sur le deltoïde gauche. Des tattoos de filles, quoi !
— Bon, que je dis en prenant mon mobile, je téléphone au coroner.
— Ah nooon ! s’écria Nini. J’embarque le corps. Je vais l’empailler. Comme ça j’aurai un souvenir de ma maman.
— Hein ? Mais, euh, y a des photos pour le souvenir, m’enfin.
— Naaan ! C’est moche les photos, et pis ça jaunit et après c’est encore plus moche. Et pis c’est ma maman à moi, alors j’en fais ce que je veux.
— Bon ça suffit ces caprices maintenant ! que je braillai d’une voix forte et autoritaire.
— Ben alors je lui coupe juste la tête, hein ? Avec une ampoule et un abat-jour ça fera une lampe super chouette.
J’attrapai la quatrième canette que Krystos avait prise, la lui arrachant de la main au moment où il allait la décapsuler avec les dents, la balançait dans le frigo, claquait la porte, agrippai Nini par le bras et gueulai :
— Tous à l’agence pour faire le point, et je ne veux entendre aucun commentaire. Me suis-je bien fait comprendre ?
— Pffff ! souffla Nini.
Elle loucha Krystos et agita sa main devant sa tempe.
— Je t’ai vue, que je crachai.
— C’est même po vrai, qu’elle gribouilla, la Nini, en se laissant entraîner vers la sortie.
Krystos abandonna son visage dark romantique tourmenté pour une mine éblouie, en découvrant sur notre table réservée au bar caveau Sepulcra une affichette vantant une nouvelle marque de bière, La Tombale. Les glandes salivaires en ébullition, il se tala sur la banquette et parcourut le résumé publicitaire, pendant que Nini prenait place à côté de lui. Je m’installai en face, normal le chef s’installe toujours en face, trouvai sur ma banquette un petit livre certainement oublié, que je filai aussitôt à Nini, vu le titre.
— Wouah ! qu’elle s’exclama. Trop bien ! Les aventures de monsieur crapaud et de mademoiselle coccinelle ! Tu me l’as acheté ?
— Hein ? Euh, oui…
— T’es trop chou ! Merciiii !
Et elle se lança dans une lecture frénétique.
Je sais, ne dites rien, mais c’est ça l’art d’utiliser les éléments imprévus trouvés sur le terrain.
Quoi, j’avais dit qu’on allait à l’agence faire le point ? Mais on est à l’agence. Une idée de Krystos, moi je voyais plutôt un bureau classique avec une secrétaire blonde en mini, mais Krystos claustrophobe un max dans les décors conventionnels sans intérêt gore, comme il dit. Et Nini est anti-secrétaire, anti-blonde et anti-mini, alors les trois à la fois… Donc devant la majorité, on a opté pour le Sepulcra, enfin Krystos, qui connaît bien la patronne, une vieille maquerelle qui tenait un claque dans le temps.
Miss Peggy, une quinquagénaire plutôt bien arrondie côté formes, aux lolos siliconés, Guy Marchand en Nestor Burma tatoué sur le droit, Alice Cooper sur le gauche, ex-artiste du claque, reconvertie en serveuse, apporta les consommations sur son petit plateau rond et rouge, à savoir une canette de Tombale, un Coca Triple Zero et un kawa bien serré. Oui, on a commandé entre temps, ça fait plus vite dans la fic.
— Alors les zenfants, qu’elle chanta, comment ça se passe, cette guerre des vampires ?
— On a retrouvé la mère de Nini saignée, que je blablatai en défaisant le papier du sucre avec délicatesse.
— Quoi ? s’exclama Peggy. C’est pas vrai ?
— Ben j’espère que si, qu’elle répliqua la Nini en levant ses deux zoeils de fille du livre illustré.
— OK, tu t’entendais pas des masses avec ta moman, mais quand même.
— Elle me piquait toutes mes idées de fringues, arrête ! Je passais pour quoi, moi, après dans le quartier ? Mon psy, il m’a dit que ma mère elle faisait une régression infantile narcissique assortie d’un violent sentiment de jalousie à cause de ma jeunesse.
— Ah, celui qui s’est jeté par la fenêtre ?
— Oui, je comprends toujours pas, j’étais allongée sur le divan et je lui parlais de la fois où j’avais essayé d’accoupler un escargot et une limace. On fait de ces trucs zarbis quand on est petite.
— De toute façon, bomba Peggy, c’est un mec, et les mecs ils comprennent rien aux femmes. Dis, Krystos, et mes ailes de chauves-souris, c’est pour quand ?
— Hein ? fit Krystos qui humait le goulot de la canette. Il faut que je trouve une colonie, si tu veux te faire une culotte avec.
— Non, j’ai réfléchi, un string suffira.
— Ah ben ça change tout, roucoula Krystos, alors une centaine suffira.
Je crus que Peggy allait exploser avec des lambeaux de chair sanguinolente valdinguant dans le Sepulcra. Mais c’est pas la première fois que Krystos la charriait.
— Laisse tomber, souffla Nini, un jour les mecs se rendront compte de tout ce qu’ils nous doivent, et ce jour-là leurs larmes amères couleront à flot.
— Ouais, approuva Peggy, et comptez pas sur nous pour aller vous chercher en enfer.
— Ah ben si vous y êtes pas en enfer, que je décochai, alors c’est que c’est le paradis.
— Pfffff ! souffla Nini.
Peggy haussa ses lolos siliconés et se barra servir un couple qui venait de s’installer à une table.
— Marrant ! Y’a monsieur crapaud il glande toute la journée sur son nénuphar, il est super gros avec son bidon, il ouvre juste la bouche pour avaler des mouches avec sa langue visqueuse, et mademoiselle coccinelle, super sexy, elle essaye de lui faire découvrir le monde de la nuit avec les discothèques endiablées pour le faire danser qu’il maigrisse. C’est comme dans la réalité, quoi !
Krystos poussa un long soupir extatique après avoir avalé une gorgée de bière brune.
— Troooop géniaaaaal ! Jamais bu un truc pareil !
Je terminai de plier mon oiseau en papier et le posai sur la table. Secouai la tête. Comme d’hab, mission accomplie. On venait de faire le point.
Minuit sonna au clocher de l’église.
Pendant que les clients se barraient affolés, pour une raison qu’on allait bien vite apprendre, la nouvelle ayant été diffusée à la télé au-dessus du comptoir, mais je n’avais pas prêté attention, mes pensées se perdant dans des rêveries vaporeuses on va dire, Nini étant toujours occupée à lire les aventures de monsieur crapaud et de mademoiselle coccinelle, Krystos se focalisant sur la dégustation de la bière Tombale et récitant à chaque gorgée un vers funèbre du Nécronomicon.
Peggy se pointa à la table, les lolos agités, en criant que les démons avaient envahi la ville. Krystos avala les 15 derniers décilitres de sa septième canette et fila au sous-sol relatif à une envie pressante.
Les yeux fixés sur la dernière page de son livre, Nini articula que monsieur crapaud il avait pas maigri, et ceci malgré les longues nuits de teuf dans les discothèques, mais que mademoiselle coccinelle elle l’aimait quand même malgré son apparence ventrue.
— Tu vois, Blue, qu’elle me chantonna la Nini, les filles elles ont bien du mérite.
Je vérifiai les chargeurs de mes deux guns, histoire de vérifier les chargeurs de mes deux guns, et les rengainai dans les holsters sous les bras. Y’en a qui mettent du déodorant sous les bras, moi je mets des guns.
Et je vis Nini se lever d’un bond, dégainer son revolver modèle Barbie Girl et le braquer vers la fenêtre. Elle appuya sur la détente. La balle éclata les vitres dans un bruit de verre brisé par la violence d’une balle, d’autant plus violente qu’elle était tirée par Nini avec un rictus de haine effroyable déformant son joli minois.
Peggy cria comme une hystérique en sautillant sur place dans ses chaussures à talons aiguilles taille 48, les lolos chaloupant dangereusement, à se demander comment les aiguilles peuvent supporter un poids de 115 kilos.
Krystos émergea du sous-sol au moment où le dernier morceau de verre touchait le sol.
— Ils attaquent ? qu’il demanda. Vous n’auriez pas vu mon fusil à pompe ?
Je renonçai à dégainer. D’hab je dégaine mon gun droit avec ma main gauche, et mon gun gauche avec ma main droite, mais là sur le coup, je savais plus où était ma droite et ma gauche. Faut pas croire, je risque quand même ma vie en bossant avec ces deux-là .
— Non, répondit Nini, mais y avait une araignée toute poilue sur la fenêtre. Et j’ai horreur des araignées toutes poilues.
Vous comprenez maintenant pourquoi mon intention secrète est de dissoudre l’agence et de me reconvertir dans la location de parasols à Saint-Tropez ?
Dehors, pas un chat. Les rues désertes. Rectification : une meute de chats se pointa, mais des chats vampires, avec des oreilles pointues démesurées, des zoeils lançant des éclairs, des dents particulièrement pointues (ben comme les oreilles mais en dents), des griffes toutes griffes dehors, et des sphincters purulents.
Bon, Krystos et moi on bougea pas, vu qu’ils voulaient juste croquer Nini. Elle piqua un sprint en hurlant, poursuivie par toute la meute féline baveuse. Elle disparut dans une ruelle.
Ben quoi !
Vous z’inquiétez pas, elle va revenir. Les filles reviennent toujours, surtout quand elles reviennent !
— J’adore ces nuits profondes et ténébreuses où planent le mystère et la mort, chanta Krytos, mon âme enfiévrée plane au-dessus du monde dans un puissant souffle d’aventures et de passions ! Va, toi, la solitaire, embrasée de désirs insatiables, éperdue de rêves et d’amours impossibles, vole jusqu’en enfer abreuver ta soif de douleurs !
Devrait se mettre à la Carola mais sans les bulles.
Nini déboula de la ruelle en courant, les couettes secouées, les chats à ses trousses.
— Bluuuuue, Kryyyyys, faites quelque choooose ! Puuuutain !
Bon, c’est comme dans Chapeau melon et bottes de cuir, y a que les mecs pour porter le chapeau. A chaque fois faut qu’on se bouge pour leur sauver la mise aux filles ! Peuvent rien faire seules, c’est bien connu ! Je dégainai un tube à cigare, dévissai, agrippai une knack macérée dans le formol et la balançai au milieu de la meute quand Nini passa à quelques mètres devant nous. Oui, je suis équipé pour tous les cas de figures.
Aussitôt les chats abandonnèrent leur poursuite et se bastonnèrent féroces pour daller la knack. Ben si, c’est crédible, vu que c’est des chats mutants croque-morts. Ils kiffent le formol.
Nini revint en marchant, pas très jouasse à en juger à l’expression s’exprimant sur ses jolies petites mâchoires.
— Vous en avez mis du temps, qu’elle grogna, j’ai failli être bouffée.
— Meuh non, que je baragouinai, on maîtrisait la situation. Hein Krys ?
— Euh, oui, parfaitement, confirma Krystos, on maîtrisait la situation.
— Ouais, c’est ça, qu’elle souffla Nini en nous ciblant avec son zoeil gauche soudain très sombre.
Un chat s’empara de la knack à moitié bouffée et se barra, les pattes claquant à son sphincter purulent, les autres le pistant tout de suite en crachant, et la meute disparut dans une ruelle, ben la même qu’avant. Les chats, des fois, c’est con !