Chronique 16
BIENVENUE DANS LE MONDE DE CYBER GIRL
Les lettres brillent géantes dans l’espace parsemé de petites étoiles scintillantes.
Une musique symphonique tonne autour de moi. Le style BO à la Star War avec des envolées de synthé en flaques d’océans sonores comme des marées capricieuses, qui te flagellent les tympans, te secouent les molécules et disparaissent en laissant des filigranes de traînées vibrantes.
Je flotte dans le vide.
Un Berliet spatial déboule. 100 000 tonnes ! Des cornes de dinosaures sur le capot aussi large qu’une table de réveillon à la mairie. Les taules rouillées par les vents solaires. Un pare-brise granulé de poussières atomiques.
En tee-shirt hawaïen et futal treillis, Papofyse tient le volant, une Gitane grillant sur la lippe.
Le Berliet ralentit, un sas s’ouvre à ma hauteur. Je m’engouffre à l’intérieur en nageant avec les bras et les pieds. Retrouve la gravité et le sol dur.
Une odeur d’huile de vidange et de frites clapote dans la cabine de pilotage.
— Salut mister hamac, qu’il me gargouille, Papo, la Gitane s’agitant rythmique avec les mots. T’as quand même réussi à trouver l’entrée du jeu.
J’affiche une mine interrogative qui n’arrive pas à exploser avec sa solution.
Titi le hippie déboule de la soute, un pack de canettes dans les doigts, me cadre et balance :
— T’as réussi à entrer ? J’avais parié avec Papo que tu te planterais.
— Euh, que je bricole de la voix, vous pourriez m’expliquer la psychose ?
Titi se laisse tomber dans un siège plus râpé que son blouson. Etire ses cannes terminées par ses tiags pointues. Pose le pack sur son ventre. S’empare d’une canette. Décapsule la languette. S’envoie une rincée sous le bandana.
Papo tire une taffe de sa Gitane, un œil fermé, à cause des piqûres de la fumée. Devrait arrêter de cloper. Ça brouille la vision du cerveau des idées.
Titi achève la canette et beugle un rot en même temps qu’il l’écrabouille entre ses phalanges musclées. Blablate d’une voix chantante et houblonnée :
— La zone industrielle, c’était une cinématique du jeu CYBER GIRL. On est des créateurs de niveaux. Papo est spécialisé dans les objets 3D, moi c’est les textures et les décors.
J’essaye de suivre, de relier les infos, de les organiser sur un schéma d’ensemble logique. Il poursuit :
— Lino, c’était un perso de synthèse. Les filles, c’est des joueuses de réseau. La brune avec les super nichons c’est Kate, alias Mousson Fatale. La petite blonde c’est Blondie, alias Bisou, le s en croix gammée. Mumu c’est celle avec des anneaux partout, alias Brise-C. Et Déborah, la rousse, une cinglée du joystick, miss Tempête-du-désert. J’ai nommé : Les Spider Vamps !
Papo prend le relais, avec des mots imprégnés de Gitane :
— On lutte aussi contre l’OPG. Ces enfoirés créent des programmes télévisuels pour abrutir le peuple. Les gens ne le savent pas, mais la réalité n’existe plus depuis un moment. Ils sont noyés dans ces programmes. Seulement on a découvert que le cyberespace des jeux était une réalité annexe, parallèle si tu veux, et qu’on peut interagir avec sur les programmes.
— Ouais, crachouille Titi en décapsulant une deuxième canette. Mais pour pas être repéré par l’OPG, on trafique pour faire ressembler à des films. D’où Lino et le Berliet de « Cent mille dollars au soleil ».
J’ai l’impression de capter, mais en même temps le truc m’échappe. C’est ce qu’on appelle « voiler en dévoilant et dévoiler en voilant ». Ou alors il me manque une mise à jour des neurones.
Papo aspire une dernière bouffée et écrase le mégot sur un coin du tableau de bord plutôt amoché côté design. Avant de fourrer une nouvelle Gitane entre ses lèvres gercées par l’acide de la nicotine. Titi lape copieux le liquide mousseux comme un clébard assoiffé.
— Alors si je comprends bien, c’était une mise en scène créée par vous, et les filles jouaient dedans ?
— T’es intelligent quand tu veux, ironise Papo.
Titi tressaille un petit rire. Des gouttes de bibine s’esclaffent sur son menton et son tee-shirt avec la Marilyn Orange de Andy Warhol dessus.
Je finis par me taler sur un siège, qui couine quand mon cul lui compresse la mousse. Titi me balance une canette, que j’attrape au vol.
— La Blue Bull, que je lis, connais pas.
— De l’énergie concentrée, chante Titi, ça te rebooste le thalamus et l’hypophyse. Bon, avec quelques petits effets secondaires des fois, mais pas de quoi interrompre le traitement. Hein Papo ?
— Ouais, qu’il me répond, le Papo, en me louchant, l’œil droit à gauche, l’œil gauche à droite.
Destroy ! Rien que de le fixer une seconde dans le regard, faut que je cligne plusieurs fois des paupières pour me remettre les zoeils dans une symétrie équilibrée. Du coup je crois que ma soif s’est évaporée comme par enchantement.
Je pense soudain à poser la question.
— Vous connaissez Angie Cyclone ?
— Je veux, roucoule Titi, en écrabouillant la canette vide. Une joueuse de réseau, mais elle fait du solo. Je voulais la coincer une fois dans SNIPE JUNGLE, je la tenais au bout de mon gun, le sien était vide, ben elle m’a rafalé avec ses ongles, comme des fléchettes. Un truc de filles ! J’avais jamais vu ça. Et je peux te dire que des ongles de filles en pleine tronche, ça te désosse le lifting. Elle m’a achevé à coup de botte dans le slibard. Des cuissardes à la John Galliano ! Le trip !
Papo rigole et largue une caisse comme un contre-ut de gratte électrique. Effet de la smoke.
Ainsi Angie Cyclone joue aux jeux vidéo. Elle se balade dans le cyber espace et les programmes télévisuels. Je comprends mieux certaines choses. Ses pseudos, c’est peut-être pour brouiller les pistes. La fille aux mille visages et aux mille noms !
Une autre question me flashe dans le ciboulot.
— Vous avez entendu parler du vol de la culotte de la Reine ?
— Ouais, répond Titi, un truc bizarre. Sûrement un coup de l’OPG pour déstabiliser les consciences et les faire focaliser sur un truc zarbi, histoire qu’elles ne découvrent pas qu’elles sont noyées dans les pros télé (comprenez : programmes télévisuels).
— C’est aussi mon avis, confirme Papo.
— Mais vous n’avez pas essayé d’avertir la populace ? que je demande.
— On n’arrête pas, répond Titi, j’ai même une chanson « Le journal de 20h » (
http://www.myspace.com/lezebrakrothesite ), mais les gens sont tellement abrutis qu’ils se plaisent dedans. Ils en redemandent même.
Evidemment. A force de crapahuter dans la fange, on finit par s’y habituer, on oublie, on trouve ça total normal.
— Bon, que je gargouille, et on fait quoi maintenant ?
Papo allume une autre Gitane et crachote, un œil à demi-fermé, un tremblement furtif sur les babines :
— On livre la cargaison sur Mars et après on file sur Paradis Land.
— C’est tout ? que je m’étonne.
— C’est le niveau, envoie Titi. On l’a inséré dans les pros télé. On avisera en temps voulu, suivant la situation.
Il décapsule une autre Blue Bull.
Tout compte fait, je décapsule aussi la mienne. Renifle. Comme un goût de menthe.
— Et c’est quoi, les effets secondaires ?
— Risque de rêve incurable, répond Titi en levant sa canette, avant de s’engorger une longue rasade sur les amygdales.