par Phantom_Blue » 27 Juil 2007, 09:31
LES MYSTERES DE L’AMOUR
Comédie en 5 actes ... par le chevalier Blue de Beaumarchais
Avec :
- La marquise Laraider de la Minaudière
- La comtesse Corinne de la Tourelle
- La duchesse Ouimzie des Fanfreluches
- Le marquis Steve de la Bagatelle
- Le chevalier Blue de Beaumarchais
- Le baron Papofyse des Eglantines
ACTE 1
La comtesse Laraider dans le salon de son château de la Minaudière, assise autour d’une table avec la comtesse Corinne et la duchesse Ouimzie, prenant le thé et grignotant des friandises.
LARAIDER : Tous des goujats, des butors, de vils rapaces, uniquement préoccupés par la pulpe affriolante de la rosette. Et après avoir obtenu la secousse nerveuse, ils vous abandonnent dans la désarroi le plus total, s’en allant par monts et par vaux cueillir d’autres roses plus fraîches et mieux ourlées.
CORINNE : Il est vrai, ma chère, que les hommes ont le don de perfidie cultivé au plus haut degré, et qu’ils n’hésitent pas à abuser de notre confiance et de notre candeur pour satisfaire leurs désirs les plus bas.
OUIMZIE : Assurément, habités par les pulsions d’une obscénité sans nom, ils nous traquent comme des proies, tel le chacal lubrique lorgnant avec avidité la poule dodue, n’ayant de cesse de posséder ce trésor inestimable que nous dissimulons entre nos jambes.
LARAIDER : Perversion ultime, je vous le dis ! Mariage de l’horreur et du satanisme de la chair ! L’homme fut créé par le démon croupissant dans les enfers, la femme par le Tout Puissant régnant dans les nues célestes.
OUIMZIE : Je vous suis entièrement sur ce raisonnement des plus logiques.
CORINNE : Moi aussi, les hommes proviennent des basses fosses infernales. Leurs baisers ont le goût du soufre, et leurs caresses brûlent nos chairs virginales, les imprégnant des marques du blasphème et de la damnation.
OUIMZIE : Et notre bonté nous perdra de les fréquenter, et de leur accorder nos faveurs et nos grâces qu’ils sont loin de mériter.
CORINNE : Ainsi le marquis est parti ?
LARAIDER : Comme un furet, ventre à terre et queue entre les pattes.
OUIMZIE : L’image est audacieuse.
LARAIDER : Mais de circonstance.
CORINNE : Et pourquoi ce faquin s’est-il enfui ?
LARAIDER : Le bonheur que je lui offrais le submergeait. Tant de plaisir l’intimidait. Il se sentait emporter par le courant de mes baisers, tel un fétu de paille ballotté au gré de l’océan en furie.
OUIMZIE : Peste ! Trop de bonheur, dites-vous ?
LARAIDER : Oui. Une abondance qui le terrifiait. Il n’osait plus lever les yeux vers moi. Je représentais la déesse devenue inaccessible.
CORINNE : C’est ce qu’il vous a dit ? Le bon prétexte pour déserter.
OUIMZIE : Le duc des Fanfreluches a agit de la sorte. Il ne supportait plus soi-disant ma glorieuse rayonnance. Ebloui par ma beauté, il est une fois tombé dans les douves du château. Mais à mon avis il avait dû abuser du breuvage de Bacchus, les caves du château sont remplies de tonneaux à perte de vue.
LARAIDER : Il est vrai que le marquis ne crachait point sur le vin lui aussi, sirotant parfois avec un agrément visible quelques bouteilles, qui disait-il étaient censées lui redonner chaleur et fusion.
CORINNE : Le comte de la Tourelle sentait la vinasse déjà au réveil. Les hommes sont tous des soiffards de la pire espèce. La désaltération exquise de nos baisers ne leur suffit-elle donc point ?
LARAIDER : Il faut croire que non. Alors que nous, évaporées d’extases, ne vivant que de poésie, nous buvons le céleste amour à pleines gorgées. Mais peuvent-ils seulement comprendre cette merveille ?
OUIMZIE : N’y songez même pas ! Cela est perdu d’avance ! Que voulez-vous attendre d’eux ? Sinon le désespoir et la mort de notre candeur dans les bas-fonds de leur rustrerie.
LARAIDER : Oui, plus jamais. Qu’il reste où il est. Même s’il revenait, la porte de mon cœur serait close.
CORINNE : Il est parti sans votre consentement. C’est là un bel outrage envers vous. Au contraire. S’il revient, accueillez-le à bras ouverts ! Feignez le bonheur de le revoir. Et au moment des tendres aveux, rejetez-le loin de vous ! OUIMZIE : Oui, montrez la supériorité écrasante des femmes. Les hommes ne méritent que cela.
CORINNE : Ils ne doivent pas gagner la guerre des sexes ! Ils s’en gausseraient jusqu’à la fin des siècles au milieu de leurs ripailles abjectes.
LARAIDER : Vous avez raison. A l’heure qu’il est le marquis doit se rire de mes sentiments et de ma pudeur. Je l’imagine bien engloutissant du vin à l’excès et narrant ses exploits à ses comparses, ce chevalier Blue qui n’a de blason que les taches de vomissures sur son jabot après de lubriques bacchanales. Et ce baron Papofyse, qui doit se vautrer dans l’alcoolisation et la luxure avec je ne sais quelle maraude dans d’obscures maisons de passe.
CORINNE : C’est bien là les hommes.
OUIMZIE : D’où la nécessité impérieuse de triompher de leur arrogance, et d’écraser leurs instincts primaires, en affirmant notre divine intelligence de femmes.
LARAIDER : Oui, mais que dois-je faire alors ?
OUIMZIE : Envoyez-lui une lettre ! Rappelez-le ! Jouez la carte de la repentance ! Ferrez le poisson !
CORINNE : L’idée est excellente, mais où la lui envoyer ?
LARAIDER : Ne vous inquiétez pas, connaissant le marquis, à l’heure actuelle il ne peut que loger dans une taverne de la ville. C’est d’ailleurs dans ces endroits qu’il s’exprime le mieux, son expression ne dépassant pas l’horizon d’une chopine.
La marquise se fait apporter de quoi écrire et rédige une lettre.
OUIMZIE : Insistez bien sur votre émoi douloureux causé par son absence.
CORINNE : Et n’oubliez pas de lui promettre quelques nouvelles sucreries qui le transporteront au septième ciel.
OUIMZIE : Les hommes raffolent de ce genre de détails, ce qui dénote bien leur esprit trivial.
CORINNE : Assurément, rien à voir avec nos pâmoisons purpurines brodées de cette naïveté si charmante qui fait tout notre attrait.
OUIMZIE : Et dont ils profitent impunément et sans vergogne en la bafouant.
CORINNE : Les scélérats !
La marquise remet la lettre à son laquais.
LARAIDER : Faites les tavernes de la ville et remettez cette lettre au marquis !
ACTE 2
Le marquis Steve, le chevalier Blue et le baron Papofyse assis autour d’une table dans une taverne, s’abreuvant de vin.
STEVE : Elles sont toutes pareilles.
BLUE : Pareilles, toutes.
PAPOFYSE : Toutes, pareilles, je le confirme.
STEVE : Juste bonnes à sucer toute la moelle de nos os, et une fois que ces vampiresses se sont délectées de tous nos nectars, repues par tant d’abondance qu’elles sont incapables de produire par leurs propres moyens, et qu’elles nous volent outrageusement, elles nous rejettent au loin comme de vulgaires coquilles vides.
PAPOFYSE : Non seulement elles nous volent, mais en plus elles s’en amusent, riant à gorges déployées de notre infortune dont elles sont à l’origine.
BLUE : Nous n’existons que pour les servir et les satisfaire, ô homme, esclave de ces mamelons pulpeux, de ces fesses rebondies, et de ces pralines fendues hébergeant le Malin, prêt à s’emparer de notre liqueur vitale et de notre âme !
PAPOFYSE : Ah les ignobles perfides !
STEVE : Elle me persécutait de ses caresses. Plus un moment de répit. Ses mains, telles des araignées agitant mille pattes, se glissaient insidieusement sans cesse sous mon pourpoint.
PAPOFYSE : Sapristi !
STEVE : A peine je baissais ma garde, essayant de goûter un moment de tranquillité, elle revenait à la charge, plus déterminée que jamais à s’emparer de mon énergie. Et nous roulions avec sauvagerie sur le tapis, moi obligé de subir tous ses caprices.
BLUE : Peste !
STEVE : Je n’ose vous décrire certaines postures, que je n’aurais jamais imaginé, certainement inspirées par le Malin, un chrétien de ma foi n’ayant pas de telles pensées aussi machiavéliques.
PAPOFYSE : Osez, la confession de tels actes ne peut que soulager votre conscience et vous reconduire dans le droit chemin de la foi et du Salut.
STEVE : L’une d’elle, qui m’a particulièrement perturbé, consistait à mettre mon corps à l’envers par rapport au sien tout aussi à l’envers, et à inverser notre position, de telle sorte que ma tête venait s’encastrer dans une chose moelleuse, que je ne pourrais pas vous définir ici, étant donné que mes yeux ne la voyant plus, j’avais perdu toute raison et logique dans ma reconnaissance de l’espace et de mon propre corps.
PAPOFYSE : Par les cornes du diable ! Qu’est-ce donc cela ?
BLUE : Une sorcellerie comme seule les femmes en ont le secret.
STEVE : Il faut croire. Et elle riait après de mon étonnement, sans jamais me révéler le mystère de cette couardise charnelle.
BLUE : Cela me renforce dans mon opinion négative sur ces créatures de l’enfer.
PAPOFYSE : Il leur faudrait une bonne leçon, de quoi les mater une fois pour toute.
STEVE : Vous croyez ? Peut-être est-ce là bataille perdue d’avance.
PAPOFYSE : Rien ne sera jamais perdu tant qu’il restera un seul homme pour tendre son outil de virilité dans la tempête de leurs félonies. Vous devez la revoir et lui faire passer l’envie de ses farandoles sataniques.
BLUE : Vous ne pouvez renoncer devant l’ennemi. Retournez chez elle ! Feignez la soumission ! L’homme doit gagner cette guerre des sexes ! Vous êtes l’archétype du guerrier ! Vous représentez l’honneur de notre race ! Ne pliez pas genou à terre devant ces femelles cupides et sans foi !
PAPOFYSE : Un homme ne doit pas fuir tel que vous l’avez fait, mais au contraire gonfler le poitrail et bravez de haut, tel le coq vainqueur, la femelle caquetante. Et lui museler son bec d’une poigne vigoureuse.
BLUE : Oui, revenez ! Adorez-la ! Et au moment de l’acte final, dominez-la de toute votre stature et de votre prestance, et repoussez-là avec fierté, avec un regard plein de dédain ! Cela lui apprendra sa condition de femme, qui est de marcher dans notre ombre, que-dis-je, de ramper à nos pieds telles les vipères qu’elles sont. Et glorifiez par cette victoire notre condition d’homme, qui est de les aveugler par le rayonnement insoutenable de notre incommensurable magnificence, afin que nous retrouvions notre place altière au firmament de la création.
Le laquais se présente avec la lettre. Le marquis Steve en prend connaissance.
STEVE : La gourgandine me rappelle à grands cris. Elle se morfond dans le désespoir le plus total et me promet quelques nouveaux tours charnels.
PAPOFYSE : La vilaine retrousse ses jupons et se prosterne à vos pieds.
BLUE : Que peut faire d’autre une femme qui constate ses erreurs ? Sinon baisser la tête avec humilité et baver de désir.
STEVE : Que dois-je faire ?
BLUE : Allez, foncez, et apprenez-lui qui est le maître !
PAPOFYSE : Jouez la carte de la désolation, et au bon moment giflez-lui la nichonaille comme il se doit.
ACTE 3
La marquise Laraider assise seule sur un canapé du salon, brodant un napperon. Le marquis Steve surgit et exécute une révérence, son chapeau empanaché à la main.
STEVE : Madame, me voilà à vos pieds.
LARAIDER : Vous, ici ?
STEVE : J’ai reçu votre lettre, qui m’a fort bouleversé.
LARAIDER : Je pensais que vous ne la liriez point.
STEVE : Ne point la lire ? Mais madame, cela reviendrait à me poignarder dans le cœur.
LARAIDER : Donc vous ici.
STEVE : En personne, et dépité de m’être enfui loin de votre divine lumière. Comment ai-je pu un seul instant détourner mes yeux de votre rayonnement, et plonger ainsi dans les ténèbres les plus profondes, où rien ne luit ?
LARAIDER : Ah monsieur, c’est moi plutôt, coupable de n’avoir pas su vous retenir, laissant s’éloigner de moi l’âme sœur que vous incarnez avec cet idéal suprême qui m’éblouit sans cesse.
STEVE : Mon éblouissance est loin d’égaler la vôtre.
LARAIDER : Au contraire, elle la surpasse en tous points. Et mon âme meurtrie par votre absence se perd dans les limbes de la nuit.
STEVE : Ne vous meurtrissez plus, madame, je suis là .
LARAIDER : Enfin, et je respire d’aise votre présence qui m’apporte le plus grand réconfort et la plus grande joie. Cela est un pur enchantement de me tenir dans votre ombre illuminée.
STEVE : Enchantons-nous alors ensemble, vous et moi, à nouveau réunis par le sort. Bénis les dieux qui veillent ainsi sur notre destinée !
LARAIDER : Je les remercie de ne point nous abandonner.
STEVE : Mais comment le pourrait-il ? Vous abandonner ? Ce serait la fin tragique de l’univers !
LARAIDER : Mais vous, parti loin de moi, dans le vaste monde. J’en frémis encore. Tenez, mes mains en sont toutes glacées. Le sang n’arrive plus.
STEVE prenant ses mains dans les siennes : Ne suis-je point revenu ? Plus présent que jamais, pour vous servir, bien décidé cette fois-ci à faire de votre vie un conte de fées, où vous serez l’ineffable princesse auréolée de gloire.
LARAIDER : Ainsi je suis toujours votre princesse, monsieur ?
STEVE : Sans conteste, cela va de soi, plus que jamais, celle qui ravit mon cœur chaque seconde. Et si le jour comptait dix heures de plus, vous seriez encore dans mon esprit, éternelle, indicible… les mots me manquent devant votre beauté qui m’aveugle… Voyez, mes yeux clignotent.
Le marquis et la marquise s’embrassent dans un long baiser langoureux.
STEVE : Ô ma douce aimée, je devais vous tromper, sur les recommandations de ces deux fripouilles, le chevalier Blue et le baron Papofyse, qui m’avait tourné l’esprit en me gorgeant de vin, mais en vous voyant si divine la raison m’est revenue. Je vous aime !
LARAIDER : Moi aussi, mon intention était de vous mettre en émoi et de vous envoyez paître, sur les mauvais conseils de ces deux sorcières frigides, la comtesse de la Tourelle et la duchesse des Fanfreluches. Mais ce baiser m’a prouvé que je vous aime toujours comme au premier jour.
STEVE : Ah divine création des cieux. Je ne me lasserai jamais de prononcer ces mots suaves, qui parfument ma bouche, votre nom béni des cieux étant le parfum le plus doux.
LARAIDER : Ah, venez, soyons heureux !
STEVE : Oui, préparez-moi un repas de prince digne de Versailles pendant que je me repose sur ce strapontin, et apportez-le, vêtue d’une tenue affriolante. N’oubliez pas avant de laver mon costume, il a pris quelques éclaboussures pendant ma chevauchée de retour vers vous.
LARAIDER : Plait-il ?
STEVE : Qu’ai-je dit qui appelle cette question posée soudainement d’un ton si sévère ?
LARAIDER : Ce que vous venez de dire à l’instant. Toutes ses frivolités verbales.
STEVE : Frivolités verbales, dites-vous ? Mais n’est-ce point là le devoir d’une femme envers son homme ? De le satisfaire en tous points et de répondre au moindre de ses désirs ?
LARAIDER : Le soleil, en vous dardant sur le crâne, vous aurait-il cramé la raison ? Pour vous la femme se doit corps et âme au ménage et à la lessive. Sans compter les heures de travail en dehors du foyer conjugal, où elle donne le meilleur de soi-même pour faire fonctionner une société que l’homme s’évertue à saboter avec son inconscience légendaire. Et le soir, à peine rentrée du travail, éreintée de fatigue, elle doit encore langer la marmaille et faire le dîner. Puis se présenter devant son male en petite tenue excitante, s’offrant corps et âme à toutes ses fantaisies les plus lubriques.
STEVE : Et alors ? Je ne vois là que les choses les plus naturelles et les plus saines propres à la bonne régence de notre monde.
LARAIDER : Eh bien, monsieur, je crois que nous n’avons point la même vision, et que la vôtre se perd sans contexte dans les méandres de l’irréalité, comme seuls les hommes en sont capables.
STEVE : Elle ne se perd point, comme vous dites, mais bien au contraire trace la route droite et claire de tout couple qui se veut un tant soit peu normal et équilibré.
LARAIDER : Alors nous n’avons pas la même définition du mot équilibre, la vôtre s’apparentant plus à un odieux esclavage des femmes, que vous semblez apprécier, ce qui ne m’étonne point, et me pousse à la réflexion, cette dernière me conseillant un recul des plus salutaires, quant à une situation qui risquerait de tourner en votre faveur, pour votre plus grande satisfaction égoïste.
STEVE : De quoi ? Ai-je bien entendu ? Mes oreilles me joueraient-elles un vilain tour de coquin ?
LARAIDER : Vos oreilles ont bien entendu.
STEVE : Attention !
LARAIDER : Des menaces ?
STEVE : Je vous préviens.
LARAIDER : En voilà un procédé des plus vils envers une faible femme, pour quelqu’un qui se prétend gentilhomme et chevalier, prônant aux quatre coins des vents qu’il la servira avec vaillance et dévotion.
STEVE : N’anticipez pas sur des paroles interprétées dans un sens trop extrême.
LARAIDER : Ah bon ? Ainsi vous maniez le langage comme le pichet de vin, Ã tout va, comme bon vous semble.
STEVE : Avec logique et raisonnement.
LARAIDER : Curieuse logique et piètre raisonnement.
STEVE : Pas autant que vous.
LARAIDER : Permettez-moi de rire !
STEVE : Riez, puisque vous ne savez faire que ça.
LARAIDER : Plait-il ?
STEVE : Il me plait.
LARAIDER : C’est décidé, je me désiste. Et je gagne, que dis-je, je triomphe, acclamée par les dieux. Les femmes ont été de tout temps les meilleures, elles le sont présentement en ce siècle des lumières qu’elles illuminent par leur grâce et leur savoir, et elles le resteront à jamais.
STEVE : Halte là ! Vous allez un peu vite en besogne. J’ai vaincu avec maestria. Les hommes surpassent de loin les femmes.
LARAIDER : Dans vos rêves, monsieur. J’avais réagi en premier, si vous l’avez oublié. Je gagne donc.
STEVE : Vous divaguez. Respirez des sels ! Je l’avais pensé bien avant que votre bouche ne prononce ces mots.
LARAIDER : Penser n’est pas gagné. Seul l’acte des paroles compte.
STEVE : Selon vos règles inventées, madame, comme vous savez si bien le faire, au détriment de toute loi et de tout honneur.
LARAIDER : Suffit, monsieur. Reconnaissez votre défaite !
STEVE : Jamais.
LARAIDER : Je le savais, au jeu de l’amour, l’homme est un fieffé tricheur.
STEVE : La femme n’est pas en reste. Elle exhibe un impressionnant palmarès. Eve n’a-t-elle pas trompé Adam en lui faisant mordre la pomme ?
LARAIDER : Fariboles ! Le fruit de la connaissance lui était destiné. Adam s’en est emparé, le lui dérobant des mains, ce qui a attisé la colère du Seigneur. Trop bonne comme Eve ne peut que l’être, étant une femme, la première de l’humanité de surcroît, elle s’est interposée, par pure bonté d’âme, pour sauver Adam. Et le Seigneur l’a punie avec lui.
STEVE : Là c’est moi qui me permet de rire.
LARAIDER : Il ne vous reste que ça, toutes paroles après cela ne pouvant qu’être mensonge et calomnie.
STEVE : Le dialogue est inutile. On m’y reprendra. Je m’en vais.
LARAIDER : Bon vent.
Le marquis Steve s’en va sous le rire de la marquise Laraider.
ACTE 4
La comtesse Laraider dans le salon de son château de la Minaudière, assise autour d’une table avec la comtesse Corinne et la duchesse Ouimzie, sirotant des liqueurs fortement alcoolisées.
LARAIDER : Plus jamais.
OUIMZIE : Vous l’avez déjà dit.
LARAIDER : Et je le redis, haut et fort, à qui veut l’entendre.
CORINNE : Qu’attendiez-vous des hommes, sinon lâcheté et corruption.
LARAIDER : Dégoûtée je le suis, dégoûtée je le reste. Un fiel amer coule sur ma langue. Ma salive est souillée par le venin des hommes. Si je pouvais brûler tous ces baisers donnés dans l’inconscience de l’amour, un feu de joie monterait dans la nuit de mon amertume et de ma rancœur.
OUIMZIE : Laissez-les ! Ils valent encore moins qu’un sou donné à la messe.
CORINNE : Et aucune messe ne pourrait racheter leurs fourberies.
La marquise Laraider fixe soudain le vide.
LARAIDER : Oh cher marquis, amour de toujours, je tends vers vous mes mains implorantes ! Moi, votre plus humble servante et votre plus fidèle admiratrice. Que ne ferais-je pour satisfaire vos désirs les plus fous ? Me voilà offerte telle la vestale virginale prête à succomber dans vos bras puissants !
CORINNE : Marquise, que se passe-t-il ?
OUIMZIE : Seigneur, son âme serait-elle le jouet du démon ?
LARAIDER : Prenez-moi avec force, beau marquis ! Je ne mérite point votre indulgence !
La comtesse Corinne lui soufflète la joue.
CORINNE : Ressaisissez-vous ! Revenez à la raison !
LARAIDER reprenant ses esprits : Qu’y a-t-il ? Où suis-je ? Qu’est-ce ?
OUIMZIE : Vous étiez dans une transe des plus étranges, vous offrant sans pudeur corps et âme au marquis.
LARAIDER : Seigneur ! M’aurait-il envoûtée au moyen d’un procédé fourbe ?
CORINNE : A moins que cet envoûtement ne vienne de vous.
LARAIDER : Est-ce possible ? Comment cela ? Serais-je en proie à la passion qui me consume au-delà de la raison ?
OUIMZIE : L’hypothèse mérite d’être retenue.
LARAIDER : Seigneur, dans ton infinie grâce pleine de miséricorde, daigne jeter un regard de compassion sur ta plus fervente brebis, et ramène-là au sein du troupeau des bienheureux. La femme serait-elle donc soumise à des vapeurs singulières qui échappent à son entendement ?
CORINNE : J’ai moi-même expérimenté cet état, ne parvenant à y sortir qu’au prix d’une ascèse sans concession au sein d’un couvent, multipliant le jeûne et la méditation sur les Saintes Ecritures.
LARAIDER : Bigre !
OUIMZIE : Je connais moi aussi ces vertiges, et pour y échapper durant des nuits entières je me flagellais le dos et les mamelons, le visage baigné de larmes, quémandant du ciel la force de vaincre la tentation.
LARAIDER : Ne m’effrayez point ! Est-ce là le seul recours ?
OUIMZIE : Hélas oui ! Il faut s’en remettre à la prière et faire acte de pénitence.
LARAIDER : Ces élans de la passion sont des plus insolites et mon raisonnement se perd dans le néant des interrogations.
CORINNE : Ce sont là , ma chère marquise, les mystères insondables de l’amour.
ACTE 5
Le marquis Steve, le chevalier Blue et le baron Papofyse, attablés dans la taverne, buvant plus que de raison.
STEVE : On m’y reprendra.
BLUE : Une nouvelle fois vos ailes d’ange se sont prises dans la toile gluante de leurs charmes perfides.
STEVE : Les étoiles de ses yeux de cristal sont en réalité les brasiers de l’enfer. La douce caresse de ses mains cachent la poigne de fer du bourreau qui garrotte le cou innocent. Sa prune onctueuse est gorgée par les sucs acides de la mante religieuse. Et ses baisers ont le goût amer de la bave du crapaud.
BLUE : Que les petites culottes soient maudites pour l’éternité ! Alors que l’homme marche avec vaillance sur le chemin du Seigneur, l’esprit droit et le cœur léger, promis au Salut, la femme surgit, parée de cet objet de perdition, s’exhibant sans pudeur dans les poses les plus lascives.
PAPOFYSE : Venez, buvons une bonne gorgée ! Le vin vaut bien la secousse des nerfs.
BLUE : Je pense même, après réflexion, qu’il lui est bien supérieur, la jouissance de l’alcool s’avérant fidèle et sincère, elle.
STEVE : Je suis tout prêt à le croire, après cette expérience douloureuse oppressant mon âme bafouée par tant d’inepties féminines.
PAPOFYSE : Et les mots sont bien trop faibles pour décrire cette infernale mascarade des sens.
Le marquis s’effondrant soudain en pleurs.
STEVE : Ô toi ma bien-aimée, perle de ma vie, soleil des mes nuits, immortelle passion, indicible beauté, ineffable déesse, je me jette à tes pieds, je me prosterne devant ton aura majestueuse, je rampe devant ta céleste lumière, indigne de lever les yeux vers ta suprême présence !
Le chevalier Blue le secouant.
BLUE : Que vous arrive-t-il ? Reprenez le dessus !
STEVE se ressaisissant : Quoi ? Qu’est-il ? Qui suis-je ?
BLUE : Vous divaguiez de façon incongrue, vous offrant à la marquise corps et âme sans aucune retenue.
STEVE : Est-ce possible ? M’aurait-elle fait prendre à mon insu quelque philtre amoureux ?
PAPOFYSE : Ou c’est votre cœur qui s’emporte pour elle, au-delà de tous raisonnements logiques.
STEVE : Seigneur, se peut-il que pareille chose existât dans notre monde ?
PAPOFYSE : On peut le croire, le vin aidant aussi à sombrer dans ces curiosités incontrôlables de l’esprit.
STEVE : J’en reste sidéré. Vite, une cruche d’eau, pour noyer ce délire avant qu’il ne me noie.
PAPOFYSE : Je reste sans voix. Qu’en pensez-vous, cher chevalier ?
BLUE : Ce sont là , mon cher baron, les inexplicables débilités de l’amour.