Prudence
Que vois-je sur le sol ? Un mouchoir de dentelles
Qui se lamente seul, en attendant la main
D’un poète enflammé par des alexandrins,
Prêt à le ramasser pour l’amour éternel.
Attention mon ami, bien des mouchoirs de belles
Ont conduit le galant vers un triste matin,
Où s’éveillant repu d’un plaisir surhumain,
Il découvrit, maudit, la vérité cruelle.
Montrant son vrai visage, l’aimée crie ses caprices
En piétinant des pieds, menaçant de supplices
Et des pires méfaits le pauvre amant surpris,
Si ses moindres désirs ne sont pas satisfaits.
Il est donc de bon ton, pour exister en paix,
De laisser le mouchoir à un autre étourdi.
A comme atchoum
Un mouchoir tout mouché juste bon pour les mouches !
Je recule atterré, le visage pâli,
Les doigts tremblant très fort. Pas question que je touche
Un tel objet perdu tombé du paradis.
Malgré de la dentelle, il m’apparaît très louche.
Je vois l’ange enrhumé mouchant son nez rougi,
Cheveux blonds et yeux bleus, deux seins pointant farouche
Dans un décolleté, la croupe rebondie.
Vais-je le prendre ou pas ? Ma main hésite encore
Devant le bonheur fou de connaître le corps
De la belle ingénue qui laissa, par mégarde,
Tomber ce beau mouchoir. L’appel puissant du sexe
Embrase mon esprit. Mais restons sur nos gardes !
Je passe mon chemin, préférant les Kleenex.
Nan mais !
Madame vous perdez votre petit mouchoir !
Oui je le vois au sol, je ne suis pas bigleux.
Que me regardez-vous en faisant de grands yeux ?
Oubliez sans tarder dans votre cœur l’espoir
Que je vais ramasser cet objet dérisoire,
Afin de vous flatter ! Je ne suis pas de ceux
Qui courent tout de suite avec un air baveux,
Se prosternant soumis. Trouvez une autre poire !
Vous voilà offusquée ! Mais je n’en ai que faire.
Appelez vos laquais, j’en ferai mon affaire.
Je suis maître à l’épée et trouerai quelques panses.
Et d’un beau geste altier vous aurez un soufflet,
Qui je le crois sera ma foi bien mérité,
Pour corriger, comme il se doit, votre indécence.