par Babou » 17 Déc 2007, 07:30
L'émotion est distillé tout au long de ta prose avec des mots forts, vibrants et saisissants, des mots qui me parlent.
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Il y avait bien deux ans, peut-être un peu plus, que je n'avais pas eu de ses nouvelles. La rupture avait été difficile, entre cris et larmes, déchirements et blessures. Puis y a eu ce message qui m'était parvenu. J'habite toujours au numéro dix de la rue Mouffetard. Signé S. Rien d'autre.
Il était presque 19 h. Je remontais la rue Mouffetard. Les restaurants grecs répandaient une odeur épicée de cannelle, de poivre, de menthe et d'origan. Numéro dix, septième étage sans ascenseur. Je comptais les étages. J'arrivais devant sa porte. Son nom, écrit sur une simple étiquette, comme les étiquettes sur les cahiers d'écolier, était toujours là . Je frappais à sa porte. Il m'ouvrit. Je restais un instant sans voix. L'émotion me paralysait. Il s'effaça pour me laisser entrer. J'avancai dans l'unique pièce qui me paraissait encore plus minuscule qu'autrefois. Le canapé aux tons délavés n'avait pas changé. Quelques reliques de ses voyages à travers l'Afrique trônaient ça et là . Une odeur indéfinissable d'encens et d'herbes mélangés flottait dans l'air. Je m'asseyais machinalement. Il était là , devant moi. Il avait terriblement maigri. Il paraissait encore plus grand dans ce corps décharné. Sur son visage émacié se décalquait une bouche gourmande, et sur ses mains qu'il avait longues et fines, des veines bleues saillaient. Traces du temps qui passe. Je lui souris malgré moi, malgré cette douleur qui m'oppressait. Il était content de me revoir. Alors il se mit à me parler d'une voix tranquille. Il savait si bien parler. Il parlait en couleurs.
A travers la vitre de la fenêtre, la lune, haute maintenant, faisait une tache clair dans le ciel sombre. C'est à ce moment là que j'aurais voulu fuir, remonter le temps, mais quelque chose m'en empêchait. Je restais là , à le regarder, à l'écouter. Ses phrases étaient interrompues par des silences qui me faisaient peur. Les souvenirs alors, pareils à des vagues, déferlaient comme ses mains autrefois sur mon corps nu. De temps à autre une lueur traversait son regard désormais éteint, tandis qu'il devenait de plus en plus nerveux. Il se leva, son beau regard sombre et perdu accrocha le mien. Il eu ce petit sourire, comme avant, tendre et moqueur. Je reviens me dit-il. Attends-moi. Mais déjà j'avais compris. Il disparut derrière le rideau de la salle de bain qui faisait office de porte. Comme un automate je le suivit. La pièce était à peine éclairée par une ampoule suspendue au plafond. A côté du lavabo il y avait un réchaud, une lanière de caoutchouc, un morceau de papier journal replié, une cuillère et une seringue. Gestes mortels, je le regardais faire sa préparation dans le couloir de la mort. Comme si, juste, il se préparait un café. Je savais que je ne pouvais rien faire. Rien. Des larmes me piquaient les yeux. Puis, le liquide chaud coula dans ses veines. Pendant quelques secondes tout son corps, tout son être bascula dans un état orgasmique. Il se traina jusqu'au canapé et s'y laissa choir. Il ferma à demi les yeux. Son visage soudain éclairé reflétait un sentiment de béatitude, de tranquilité et de bien-être. Je le regardais intensément, profondément. Je ne savais pas, à ce moment là , que c'était la dernière fois.
Il s'est éteint trois mois après. Dans le couloir de la mort. Rongé par un mal appelé drogue.
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La vie est fragile, à l'image de la rosée délicatement suspendue aux herbes, en gouttes de cristal qu'emporte la première brise du matin.
Dilgo Khyentsé Rinpotché
La parole se fait spontanément rythme dès que l'homme est ému, rendu à lui-même, à son authenticité. Oui, la parole se fait poème. (Léopold Ségar Senghor)