par Phantom_Blue » 16 Juin 2009, 20:44
Épisode 2
Winston descendit l'escalier à sept heures précises du matin, comme d'habitude, d'une ponctualité sans défaut, vêtu de son costume queue-de-pie, traversa le hall inondé par un soleil printanier, entra dans la cuisine, et s'apprêtait à se verser un verre de Johnnie Walker quand il entendit une musique. Elle venait du frigo.
— Seigneur ! s'exclama-t-il. Lady Croft ! Je l'avais complètement oubliée !
Il hâta le pas, s'arrêta devant la porte, à travers laquelle plusieurs voix lui parvinrent.
Intrigué, il appuya sur la poignée pour ouvrir.
Et le spectacle qui s'offrit à sa vue le figea dans une fixité corporelle paralysante.
Lady Croft levait un verre de champagne en compagnie de la comtesse Babou de la Fricotière, en robe de soirée d'un satin jaune exubérant, des plumes de paon dans les cheveux, et du marquis Krystos von Lichtentstein, cintré dans un smoking rose vif, les cheveux courts fortement brillantinés. Tandis qu'un poste de radio diffusait un air de jazz entraînant.
— Winston ! s'écria Lara en esquissant un rire imprégné de Veuve Clicquot Ponsardin. Espèce de vieux bouc ! Je devrais vous en vouloir, heureusement la comtesse et le marquis sont passés ! Je n'avais plus vécu une telle nuit depuis des années !
Et elle vida son verre avant de rire à gorge déployée.
Winston les regarda sortir du frigo, Lara et la comtesse titubant, accrochées chacune à un bras du marquis, qui titubait aussi.
— Servez-nous un bon breakfast, lança Lara, on a une de ces faims !
Le majordome éteignit le poste radio, sortit du frigo, referma la porte et rejoignit les trois fêtards qui avaient pris place autour de la table de la cuisine.
Pendant qu'il faisait frire le bacon dans une poêle, un tablier passé au cou et noué autour de la taille, Lara lui raconta le mystère du frigo.
— Je venais de déboucher une bouteille de champagne, après avoir mordu dans une saucisse qui pendait à un crochet, quand j'ai entendu des bruits dans la cuisine. J'ai appelé. La porte s'est ouverte. C'était le marquis et la comtesse, qui étaient entrés par la fenêtre pour jouer les Arsène Lupin, et qui voulaient me surprendre.
— C'est nous qui avons été surpris, lança la comtesse après avoir vidé un verre de Tequila José Cuervo, en te découvrant dans le frigo.
— C'était very très classe, s'écria le marquis, un verre de Vodka Eristoff dans les doigts. Passer une soirée enfermés dans un frigo, personne n'avait encore jamais fait ça, décidément, ma chère Lara, tu es un prodige d'innovation.
— Il faut remercier Winston, chanta Lara, c'est à lui qu'en revient tout le mérite.
— Merci Winston ! s'écria le marquis en levant son verre. Je vous engage, si Lara ne veut plus de vous.
— Je le garde, répliqua-t-elle, c'est une perle, même si parfois il est trop collet monté sur le protocole.
— J'avais un majordome en Afrique, raconta la comtesse, mais mon tigre Doudou l'a dévoré un matin. J'étais très peinée, il a fait une indigestion, j'ai cru que j'allais le perdre. Je l'ai veillé pendant plusieurs nuits.
La main vissée sur le manche de la poêle, l'autre main retournant le bacon avec une fourchette, Winston secoua sa tête et leva les yeux au plafond.
— Il y a des tigres en Afrique ? s'étonna Lara.
— Euh, hésita la comtesse, à moins que ce ne fut en Indes, où j'étais la maîtresse du sultan Haripour. Il s'est suicidé, ne pouvant supporter l'amour sublime que je lui offrais, en mettant sa tête dans la gueule d'un crocodile. J'ai dilapidé sa fortune en Russie avec le petit-fils du tsar Nicolas II.
Winston répartit les tranches de bacon dans les trois assiettes avant de revenir devant les fourneaux préparer les œufs brouillés.
— Winston cuisine comme un chef, complimenta la comtesse, en se léchant les doigts.
— Venez chez moi, reprit le marquis, je double votre salaire, et en plus vous aurez deux jolies soubrettes japonaises pour vous masser le dos.
— Qu'en pensez-vous ? demanda Lara sur un ton ironique, en le ciblant d'un œil étincelant. Deux petites Japonaises en dentelles !
Winston se retourna et articula d'une voix posée :
— La proposition de monsieur le marquis est des plus tentantes. En plus, j'ai des rhumatismes qui demanderaient des massages réguliers.
— Ah tu vois ! s'exclama le marquis ravi. Winston, je vous engage !
— Nooooooon ! s'écria Lara en se levant.
Elle bondit vers lui, s'agenouilla, entoura ses jambes avec ses bras.
— Mon cher Winston, ne me quittez pas ! Que deviendrais-je sans vous ? Je vous masserai le dos autant qu'il vous plaira !
Un sourire discret étira discrètement les lèvres du majordome.
— Je prends note, lady Croft !
— Oups ! fit Lara.
Elle se releva, s'appuya en vitesse au-dessus de l'évier, et penchée vomit une giclée stomacale de sucs gastriques, de champagne et de petits bouts de bacon mâchés avec rapidité.
— Ça purifie le corps et l'esprit ! lança la comtesse, avant de vider un autre verre de Tequila.
Le marquis l'imita, tandis que Winston présentait une serviette à Lara.
Puis il ouvrit le robinet pour rincer l'évier avec un flegme très britannique.