8 h du mat ! Je glande dans la salle d’attente du docteur Dubohl. J’ai pas l’habitude de me lever si tôt. Mais bon. Faut ce qu’il faut. Un petit congé maladie me fera pas de mal. Je commençais à saturer à l’agence. Et puis Enilis qui me gonfle avec ses enquêtes. On dirait qu’il y a que ça dans la vie. Et faut que je bosse non-stop, et j’ai même pas le droit de siffler un petit verre, et je dois pas mater les Japonaises.
La bonne femme assise en face de moi me lorgne des zoeils. Normal, le beau gosse. Avec mon chapeau melon je fais John Steed junior dans « Orange mécanique ». Le côté voyou classe, ça attractive toujours ! Elle engage la conversation.
— Avec le réchauffement de la planète, les microbes ne crèvent plus. On attrape la crève.
Ben avec Enilis qui chauffe du ciboulot, elle crève pas non plus. J’approuve d’un coup de tête. Elle continue :
— J’ai un mal de dos. J’ai dû me coincer un nerf. Ma sœur avait un déplacement de vertèbre. On l’a opérée. Maintenant elle peut plus bouger.
C’est pas à Enilis que ça arriverait un truc pareil. C’est toujours les autres qui ont de la chance.
— Et vous ? qu’elle me demande.
— J’ai une Enilis aiguë.
— Je ne connais pas.
— Ben vous avez des palpitations, des angoisses, des frayeurs, des hallucinations…
Damned ! Je vais me réveiller. Non, je suis réveillé. On est le 31 octobre, mais c’est pas son fantôme.
Enilis vient de débouler dans la salle d’attente. Le tee-shirt arrogant, la jupette agressive, les bottes aboyantes.
— Mais qu’est-ce tu fous là ? qu’elle me braille, les dents en scie électrique dans « Massacre à la tronçonneuse ».
— Ben euh, que je bafouille, des migraines dans l’hypothalamus, une douleur dans le squelette, des remontées acides dans le gosier de la bouche.
— T’as de nouveau picolé !
— Ben euh… pas du tout…
— Non mais comment vous lui parlez ! crache la bonne femme dont la sœur a été opérée d’une vertèbre du cerveau.
— Grrrrr ! grogne Enilis. Toi la vieille commence pas à me les chauffer !
Je vous l’avais dit que Enilis elle chauffait comme le réchauffement de la planète.
— Comment ça ? qu’elle s’insurge l’autre en se levant. Tu te prends pour qui, la petite djeunette ? C’est pas une gamine qui va faire la loi ! Je vais t’apprendre les bonnes manières !
Super, une baston ! Halloween commence bien !
Elles vont s’agripper quand le docteur Dubohl surgit dans la salle d’attente pour chercher le premier patient. Des fois on frôle l’orgasme du paradis, mais il s’éloigne inexorablement dans la nuit profonde et noire de l’oubli.
— Mesdames, qu’il s’interpose d’une voix d’Hexomedine 2,5 mg en gélules, calmez-vous !
Un pépé assis deux chaises plus loin rigole sans les dents. La bonne femme se rassoit. Enilis bouillonne.
— C’est qui le premier ? demande le docteur Dubohl.
Je me lève, m’avance d’un pas. Enilis m’agrippe au bras et me tire hors de la salle d’attente, après avoir balancé :
— Il a rien ! Des vapeurs ! Je vais le guérir !
8h10 ! Sur le trottoir de la city avec Enilis qui vénère un max, les postillons mitraillant comme les bastos du gun de Max Payne.
— Tu te défiles comme d’hab ! Tu me laisses l’agence sur les bras ! Je fais tout le boulot ! T’as aucun sens des responsabilités !
— Euh, pourquoi, y a une enquête ?
— Nan !
— Ben alors pourquoi tu me déranges ?
— Parce que !
C’est bien une réponse de fille ça. Même Bouddha et Einstein ils ont jamais trouvé le secret du grand mystère féminin.
— Euh, comment t’as su où j’étais ?
Elle hausse le soutif. Que ça hausse en même temps les épaules.
— Fastoche ! Soit tu cuves chez toi, soit t’es encore au bistrot, soit t’es chez le toubib. Vu qu’on est la fin du mois, en général t’es chez le toubib.
Il faudra que je change mes habitudes. Par exemple le toubib quand je suis censé être au bistrot. Ou mieux : je cuve au bistrot avec le toubib. Vu qu’il picole aussi.
— Ben on fait quoi s’il y a pas d’enquête ?
— On s’occupe intelligemment en attendant. Mais c’est sûrement une notion qui te dépasse.
Ce qui me dépasse, c’est Enilis.
Vingt minutes qu’on joue au Uno à l’agence. Je capte que-dalle à ce jeu. Surtout à jeun. Remarque, bourré encore moins. C’est quoi de nouveau la carte joker ? Pourquoi elle met une carte avec les deux flèches ? Je pose un neuf rouge.
— Naaan, tu peux pas ! qu’elle crache.
Pffff ! Encore un jeu débile du cerveau des neurones. Y’a trop de numéros dans tous les sens.
— C’est bon, ça te fait travailler la boule, qu’elle me chante, je voudrais pas que tu ramollisses.
Je fais exprès de me tromper plusieurs fois. Enfin je croyais. Du coup c’est moi qui gagne. J’en reviens pas. Enilis est prête à exploser. Elle remballe les cartes.
— On joue plus ? que je demande, la voix innocente du petit Chaperon Rouge quand il rencontre la grande louve avec les dents baveuses.
Enilis répond pas et file devant le pc. Je me planque derrière mon bureau, relaxe dans le fauteuil.
Bon, je feuillète « Femme actuelle » par obligation, vu qu’Enilis a balancé tous mes magazines de Japonaises. M’en fous, j’en achèterai d’autres. Wouarf les femmes !
« Trois trucs pour retrouver la ligne ! Manger équilibré, évitez les graisses et les sucreries… Buvez de l’eau pour éliminer les toxines… Faites du sport, bougez votre corps… »
Ça fait des années que les magazines balancent les mêmes conseils, mais les femmes elles ont pas encore compris. Sont débiles ou quoi ? Elles continuent de s’empiffrer, picoler des liqueurs, glander sur le canapé avec les copines en slurpant des pâtisseries. Nous les mecs, quand on a du bidon, ça fait gros nounours. Si on picole, c’est de la bière que ça hydrate super les reins. Et on fait du sport en gesticulant devant la télé quand y a un match de foot, que ça muscle naturellement le corps.
— Niark ! qu’elle niarke soudain. « Chère Priscilla, j’ai toutes tes chansons, tu es merveilleuse, tu enchantes ma vie, sans toi je n’existerais pas, Blue ». La hoooonte !
— Hééé ! que je proteste. T’es dans ma messagerie. Ça va pas ? Comment t’as fait ?
— Fastoche ! Kronenbourg le mot de passe.
Là faut vraiment que je change mes habitudes. Je peux mettre Evian comme mot de passe. Euh, mais des fois que, inconsciemment, ça m’aiguille sur la flotte. Imaginez le drame psychologique !
On sonne. Un client. La poisse, va falloir bosser. Non, c’est sa mère qui débarque. La poisse aussi. Tailleur classique de directrice de pensionnat. Le chignon gardienne de prisons.
— Seigneur ! qu’elle s’exclame. Comment tu peux vivre dans un taudis pareil, et avec un alcoolique ?
Elle fond en larmes.
Ça y est, c’est reparti. Chaque fois le même cinéma. Si tout se passe bien, on va de nouveau avoir droit à la crise.
Enilis la rejoint. Elle lui prend la main.
— Mais non maman, Blue a arrêté de boire. On est associé dans une agence de détectives, tu le sais bien, je te l’ai déjà dit.
Attention, ça va démarrer !
La mère ouvre son sac à main, en sort un crucifix, le brandit vers moi.
— Arrière démon impie ! Eloigne-toi de ma fille ! Ou la vengeance du Seigneur sera terrible !
Dans ce cas-là vaut mieux pas contrarier. Jouer le jeu pour donner le change. J’adopte une tronche paniquée. Montre les dents. Mords dans le vide. A tous les coups ça marche.
— Je te l’avais dit ! Regarde ! C’est un renégat de la légion des damnés !
Tiens son vocabulaire s’enrichit. Sa mère a dû mater « Evil Dead ». Elle remonte dans mon estime.
Enilis me cible avec des zoeils furax. Je retiens une rigolade. Sa mère récite « Le Notre Père ». Elle s’interrompt à :
— … comme nous pardonnons…
Un vertige la saisit. Les bras ballants, elle manque de s’évanouir. Enilis la retient à la taille. Le crucifix tombe sur le sol. Elle couine :
— Il prend possession de mon corps… Je suis son esclave… Il me fait jouir contre ma volonté… Vade retro Satanas…
La première fois que ça arrive. Je suis gâté. Peut-être parce que c’est Halloween.
Sa mère est prise de convulsions
— Putiiiin, Blue, aide-moi ! qu’elle crache Enilis.
Je me précipite au ralenti. Enilis qui vibre avec sa mère, c’est le top de la scène halloweenesque. Je prends la vieille par les pieds, réprime un sursaut de dégoût, l’impression de toucher de la peau froide de zombie à travers les bas. On la transbahute sur le canapé.
Et Enilis qui me reproche de picoler. Faut pas déconner. Sa mère doit carburer au Jaggermeister.
10h07 ! Enfin seul ! L’ambulance avait embarqué la mère dans un état comateux. Enilis avait suivi avec sa Buggy. Des fois le bonheur c’est simple comme un coup de fil. Allô le Samu ? Quand même folklo la moman ! M’étonne pas qu’Enilis déraille de temps à autre. C’est transgénique dans les zovules.
Bon, ben c’est pas tout, j’ai aussi des priorités essentielles vitales. Faut pas croire. Je bulle en apparence, mais en réalité j’œuvre en secret pour le bien de la communauté. Bon, ça se remarque pas, mais parce que je suis un mec discret. J’aime pas faire de remous. Après c’est les remerciements chaleureux et insistants, les larmes de joie dans les zoeils. Pas trop mon truc.
Rien vaut une petite balade en ville. Le soleil sourit comme dans la chanson de Charles Trenet où il sourit. Y’a des gros nuages floconneux en forme de lolos pulpeux. Les vitrines des magasins sont décorées Halloween. Des gosses passent sur le trottoir avec des masques de vampires et de Frankenstein. Oh la jolie petite princesse toute rose !
Je m’arrête au kiosque. La mère Grégoire tricote toujours son éternel cache-nez. Il doit faire trois kilomètres maintenant. Elle me louche avec son zoeil en verre, que doit y avoir dedans une mini caméra, que les images elles sont envoyées sur la planète Mars, qu’un jour je serai enlevé par une soucoupe volante. Et on créera une race de super mecs de l’espace à partir de mon ADN. Normal, je suis un super mec ! Ça va, arrêtez de jeter des tomates, si on peut plus blaguer.
Bon, alors après mûre réflexion, c’est une situation où il faut pas se précipiter, procéder dans l’ordre, avec méthode et circonspection, je choisis bien évidemment « Japan X », un classique incontournable. Obligé, si je le prends pas, c’est comme refuser un week-end avec Paris Hilton au Hilton à Paris. Puis voyons voir, « Schoolgirls friponnes », sinon c’est comme si il manquait un numéro d’Atlas avec Lara Croft à monter en kit, qu’il y aurait pas les lolos. T’imagines la gueule de la statuette dans la vitrine de ton salon ? Et j’opte aussi pour « Kawaï Klitos », le complément indispensable. Bon, c’est écrit tout en japonais, je capte que-dalle à la langue, mais je regarde que les photos. Et des fois je comprends pas tout non plus. Les Japonettes elles ont des 96 que même en tournant le magazine dans tous les sens, tu flottes dans la 4e sex dimension de l’inconnu.
Je repars avec les magazines dans un sachet plastique Le Nouvel Observateur. Je veux entendre aucun commentaire malveillant et déplacé.
Bronto croupit derrière le comptoir du bistrot. Cent kilos à peine contenus par une chemisette blanche sans manches. Un double menton que tu peux coincer des stylos et des clopes. Pratique.
Je tale mon derche sur un tabouret, le sachet sur le tabouret à côté. Accueille avec des étoiles dans les zoeils le bock de bière que Bronto pose devant moi. Mes papilles dégustatives s’affolent comme des gremlinettes morphalant un pacman. Instant magique incomparable quand le liquide frais humidifie ma langue. Dévale dans le gosier. Que mon chapeau melon flashe plus light qu’un gyropare de fliquettes à la poursuite de la Porsche de Lex Luthor pour excès de vitesse.
— T’as vu les tags ? qu’il me demande, Bronto.
— Non, quels tags, où ?
— Sur les murs de la mairie. « Les portes de l’enfer sont ouvertes ! Il revient ! Préparez-vous à subir sa vengeance ! »
— Encore un blaireau qui s’amuse pour Halloween !
— Ouais, mais qui sait qui va payer le nettoyage ?
— Le contribuable !
On a prononcé le mot en même temps. J’avale une autre coulée de bibine. Bronto va servir un client à l’autre bout du comptoir. Je feuillète le journal pris sur une table.
Sarko et Carla se séparent. Elle sort avec Giscard. Sarko sort avec Bernadette. Là je crois que la France est vraiment foutue.
11h56 ! Un poulet frites salade au snack. Comme une petite faim. Patricia Arquette a congé. Elle m’en veut toujours pour le rancart loupé (voir Hellraider). Susceptible les filles ! Est-ce que nous on fait un foin quand elles se pointent pas ? On rancarde une autre et puis voilà !
Pas dégueu le poulet. Un goût de calamar. J’aime pas le calamar mais j’aime le carambar. Je superpose donc carambar sur calamar. Bon, laissez tomber !
Enilis débarque, les bottes speedolantes. Me repère en une fraction de seconde d’un seul zoeil. Se pointe à ma table. Accapare la banquette en face.
— Non mais j’te jure, qu’elle blablate. Quel taré ce toubib aux urgences ! Il croyait que maman avait fait une tentative de suicide. Et moi j’osais pas lui expliquer. Bon, ils lui ont lavé l’estomac. Elle se repose.
Je dalle relaxe mon calamar au carambar.
— C’est bon ? qu’elle me demande.
— Si t’aimes la mer.
— Quoi, ma mère ? Comment ça ? T’as de nouveau picolé toi !
Trop fatigué pour me lancer dans une explication cohérente. Je préfère laisser planer le doute de l’énigme irrésolue.
— Ah oui ! qu’elle chante. On a une enquête ! Une fugue !
— Un gosse ?
— Non.
Elle me sort une photo sous le nez. Avec la bouille d’un caniche.
— Un clebs ?
— Ouais. C’est Waako. Il s’est barré. Sa maîtresse nous a contactés. C’est une vieille lady friquée. Lady Daisy Levallois. Elle habite le manoir, tu sais, rue Strawberry Fields.
Je garde un silence silencieux.
Oui, bon, là je suis d’accord pour changer « Blue & Enilis » et mettre « Enilis & Blue » sur les cartes de visite de l’agence. Depuis le temps qu’elle me bassine avec ça. Je lui confirme mon acceptation.
— C’est déjà fait. J’ai balancé les vieilles.
Moi pour ce que je sers dans l’histoire. Spongieuses certaines frites, d’autres plus résistantes. Doit y avoir deux races d’élevage. Une qu’elles font beaucoup de sport vu qu’elles sont plus dures. L’autre qu’elles se la coulent douce à cause qu’elles sont plus molles.
14h23 ! Si Sherlock Holmes me voit, il doit se retourner dans sa tombe. Comment ça, il a jamais existé pour de vrai ? Ben si, puisqu’on a écrit des livres sur lui. M’enfin !
Indiana Blue à la recherche du clebs perdu ! Là je peux pas tomber plus bas. En plus Enilis qui se la pète en jupette. Elle rouldingue à donf du popotin. Bon on va tourner en rond comme ça encore longtemps dans la city ? Si ça se trouve, le Waako il se paye du bon temps avec des clébardes, pendant qu’on s’use les semelles des godasses à le chercher.
Des types en combinaisons de nettoyage effacent les tags sur les murs de la mairie.
— Peut-être une enquête, que j’ose dire.
— T’es de nouveau bourré ? L’agence Enilis s’occupe de cas sérieux, pas de débilités.
Elle a oublié Blue où j’ai rêvé ?
Putiiiin ! Et moi j’ai oublié que je viens de me rappeler que j’ai laissé mon sachet avec mes magazines sur la banquette dans le snack ! Bouark ! J’espère que la serveuse va le garder. Là je peux pas repasser, Enilis est cap de me suivre pour voir. Des fois le sort s’acharne avec une injustice flagrante sur moi. Snif ! Plein de Japonettes qui m’attendent !
On se dirige de nouveau vers la Buggy. Je prétexte un truc à faire et je me casse. Direction le snack plus vite que Flash y copule Flashette.
Enilis s’installe au volant.
— Euh…
— Quoi ? qu’elle me claque des dents, les zoeils comme les robots quand ils vont lancer un rayon laser, que même le slibard il est désintégré.
— Rien.
Je me tale sur le siège à côté.
Elle démarre brutal. Je me tiens au rebord.
Punaise ! L’hosto ! Elle vient sûrement voir comment va sa mère. Peut-être que la vieille a morflé. Une tendinite subite du cerveau.
Et dire que je pourrais être relaxe chez moi en train de loucher des petites Japonettes croustillantes. Glurps ! Gasp !
Dommage, j’aurais dû emmener mon caméscope.
La vieille est attachée sur le lit, en pleine convulsions. Tout le sommier tremble. De la bave dégouline de sa bouche. Ses yeux ressemblent à ceux de Casimir. Boursouflés en balles de ping-pong. Elle râle avec une voix gutturale :
— Il va tous vous détruire… grouic…
— Elle est comme ça depuis un moment, dit l’infirmière. On lui a administré des calmants, mais ça ne sert à rien.
Du coup je regrette pas d’être venu.
Enilis s’approche. Lui demande :
— Tu es qui ?
— Je suis son messager… grouic… Il apporte le chaos… grouic…
A mon avis, ce sera pas une Halloween comme les autres. Ça sent le soufre.
En sortant, j’expose ma théorie. Les portes de l’enfer se sont ouvertes quelques part dans la ville. Les tags sur les murs de la mairie annoncent la venue de Satan. Un de ses sbires a pris possession de sa mère.
Enilis pique un fou rire.
— Blue, arrête de picoler ! Pour les tags, c’est un blaireau qui les a faits pour Halloween. Je pencherais pour les Hellraider (voir Hellraider). Et pour ma mère, elle débloque juste. A force de lire la Bible, elle se fait des films. Pour compenser le vide affectif, tu sais que mon père s’est barré, elle s’invente des amants sulfureux. Au final, elle a fini par péter les plombs. Et pis voilà !
Tu m’étonnes pourquoi son père s’est barré. Pas con, le mec ! Bon ben je crois qu’on va de nouveau se taper la recherche de Waako.
On remonte dans la Buggy. Traversée speed d’un bout de la ville. Non, pas de Waako. Enilis file à l’agence.
Y’a un chat qui miaule devant la porte d’entrée.
16h31 ! C’est une chatte, elle s’appelle Mitzi, et y a un numéro de téléphone gravé sur son collier. Enilis s’était écriée en le tenant dans ses bras : « Mitzi c’est comme Nini ! » L’invasion des femelles carnivores a commencé.
Pendant que je file une boite de pâté de jambon à Mitzi, qui se pourlèche les babines, Enilis compose le numéro de téléphone.
Ah les filles c’est toutes les mêmes ! Dès qu’elles ont ce qu’elles veulent, elles ronronnent à donf ! Et quand elles obtiennent pas ce qu’elles veulent, elles crachent du venin !
— Allô, dit Enilis, on a retrouvé votre chat… Comment ça vous n’avez pas de chat ?… Votre numéro c’est bien le 0388556798 ?… Non ?… Ah excusez-moi… (Elle raccroche.) Pourtant j’ai fait le bon numéro… Attends…
Elle recompose le numéro, plus lentement.
— Allô, je vous appelle parce que j’ai retrouvé votre chat ?… Hein ?… Vous avez un chat mais il est chez vous ?… Vous êtes sûr ?… Aaah, bon merci…
Je le savais. Encore un coup des forces obscures.
— Je comprends plus rien, attends, je réessaye encore.
Cette fois-ci, c’est de nouveau une autre personne, et elle a pas de chat. Au quatrième appel, pareil.
— C’est dingue, je tombe chaque fois sur quelqu’un d’autre en composant le même numéro.
— Cherche dans l’annuaire, tu auras le nom et l’adresse.
— Ça va, grogne Enilis, t’as pas besoin de m’apprendre mon métier.
OK, moi je dis plus rien. Je me casse.
— Tu vas où ? aboie Enilis.
— Enquêter. A plus.
— Si tu reviens bourré, je te tue ! Grrrrrr !
17h00 ! Je débarque dans le snack. La chance ! La patronne me refile mon sachet. Je remercie. Dans la rue, je jette un œil. C’est quoi ce plan ? Je sors le magazine « Psychologie » et le journal régional. Putiiiin ! Y’a un qui a dû trouver et il a échangé. Tu m’étonnes ! Entre la psychologie et des Japonettes, y a pas photo. En plus : « Maîtrisez vos pulsions ! » Là c’est vraiment l’épouvante d’Halloween.
Je balance le sachet dans une poubelle. Bon, ben je rachèterais bien, mais j’ai plus trop la thune. Sinon je peux plus picoler après. Les Japonettes ou la bibine. Le choix de l’horreur absolue ! La super poisse !
— Bluuuue !
Je me retourne. C’est Red-Cherry (voir Hellraider, c’est la fille du maire). Elle est fringuée en vampirette. Normal, Halloween.
— Alors, c’est ta journée fétiche !
— Et la nuit, qu’elle me répond, on va teufer avec les copines. Après on brûlera un mannequin à l’effigie de mon père. Draculique !
Je m’étonne. Demande pourquoi.
— Il a traité les vampires de communistes. Nan mais t’imagines l’insulte ?
— Je parie c’est toi qui as taggué les murs de la mairie.
— Obligé.
— Mais ton père te soupçonne pas ?
— Il sait que c’est moi, mais du coup ça attire l’attention sur lui. Y’a bientôt les cantonales. Et ça flatte son ego. Il est narcissique mégalo à fond.
— En somme tu contribues à sa réélection !
— Mouais… y a toujours un bug quelque part. Mais tu sais quoi, avec le pc j’étais dans le central téléphonique, et je lui ai mis un numéro fantôme, que quand t’appelles eh ben t’arrives pas à le joindre, ça va chaque fois sur un autre numéro. J’ai vu ça sur le Net, sur un site de hackers. Draculique, non ?
— Dis, t’aurais pas une chatte qui s’appelle Mitzi, des fois ?
— C’est la chatte de maman, pourquoi ?
— Viens, je t’offre une glace.
— Chouette !
18h13 ! Bon, faut le reconnaître, je suis quand même le number one de l’agence, non ? Quoi, le hasard ? Ben quand on est un super détective, y a pas de hasard, tous les événements font qu’ils se concordent entre eux et finissent par atterrir chez moi, attirés irrésistiblement par mon irrésistible attraction de la déduction.
Enilis a halluciné. Déjà parce que je revenais à l’agence, d’hab c’est souvent le lendemain bourré. Puis en apprenant que j’avais résolu l’énigme de Mitzi et du numéro fantôme.
— Ouais, arrête de frimer Blue, t’as eu un coup de chance, c’est tout !
— Ben non, mon esprit de déduction opère dans l’inconscient et orchestre chaque chose de façon à ce qu’elles finissent par se combiner entre elles dans la soluce.
— Arrêêête, qu’elle rigole, j’ai mal au ventre.
Bon, inutile d’insister. Le message illuminateur de la haute intelligence mystique n’atteint visiblement pas les cerveaux irradiés par le basique des concepts primaires.
Le temps de ramener Mitzi en Buggy, Enilis qui conduit vénère, moi relaxe avec la chatte dans mes bras, en rajoutant un max avec les « guili-guili ».
— Ma poupounette ! qu’elle s’exclame, la mère de Red-Cherry. Ça fait que huit jours que je l’ai, et déjà elle se sauve. La pauvre chérie ! Et comment vous l’avez retrouvée ?
J’explique en quatre mots.
— Elle a dû flairer que vous étiez là une fois (voir Hellraider). Les chats ont un sixième sens. La coquine a fait une escapade, et elle a décidé de vous rendre une petite visite. Hein ma Mitzi ?
Pelotonnée dans les bras de la femme du maire, Mitzi ronronne en clignant des zoeils.
Je resplendis. Enilis fulmine.
23h50 ! Enilis s’était barrée avec sa Buggy, me laissant en plan devant la villa du maire. Comme d’hab. Là elle doit teufer Halloween avec ses copines. Les filles, elles adorent teufer avec leurs copines. Et dire du mal des mecs.
Bon, ben moi je m’en balance. Je siffle les derniers décilitres de bibine de mon bock et j’en commande un autre.
Charly pose un carré de dames sur la table. Le cul, le mec ! Au moins là les quatre filles lui portent chance. Il ramasse toutes les pistaches. Dans le temps il dirigeait une agence avec quatre filles entraînées pour toutes les missions. Mais elles lui en ont fait baver de toutes les couleurs. Il a failli terminer chez les dingues. Normal, déjà une fille c’est délire infernal. Je connais. Alors quatre d’un coup.
Je vais une nouvelle fois vidanger. Descend les marches. La fraîcheur des pissoirs carrelés éblouis par des néons me sort à moitié du gaz. J’arrose le bidet. Le mur. Trop de pression dans le tuyau. Me passe un coup de flotte sur la tronche au lavabo. Remonte les marches.
C’est quoi ces cris ? Ces bruits de casse ?
J’entrouvre la porte à côté du comptoir. Bronto gît derrière dans une mare de sang. Le bistrot est ravagé. Des bestioles poilues avec des dentiers monstrueux s’acharnent sur les clients. Une tête coupée roule sur le plancher. Des membres arrachés valdinguent dans l’air.
C’est pas vrai ! Les portes de l’enfer ! C’était pas une blague ! Du coup j’émerge total du gaz.
Je referme la porte. Dévale les marches. File dans les pissoirs. Passe par la petite fenêtre. Me retrouve dans la cour.
Une pleine lune illumine le ciel. Des échos de hurlements roulent dans l’air. Je vois des flammes au-dessus des toits.
Là je panique un max. Adresse une prière au Seigneur. « Sauve-nous, et je jure de plus picoler et de plus mater les Japonaises ! »
Je file au coin. La rue est déserte. Ça bouge toujours dans le bistrot. Je pique un sprint sur le trottoir en rasant les murs. Des claquements d’ailes claquent dans le ciel. Craignos les chauves-souris en formes de femmes avec les lolos au vent. Je me planque dans l’encadrement d’une porte. Attends qu’elles passent. Mon slibard baigne dans la transpiration. Je reprends mon sprint. Me demande ce que fait Enilis. Les monstres l’ont peut-être déjà bouffée. Non, impossible, elle est inbouffable. Faut que je file à l’agence. Là je me barricade. J’attends que l’armée arrive. Non, je file chez les flics. Ils sont armés. Ils doivent flinguer sec. Chez eux c’est le plus sûr. Je mate à droite et à gauche. Personne. Je traverse la route. Plus loin c’est le parc. Après encore deux rues et on tombe sur le commissariat. Les gens doivent être planqués chez eux. Ou alors la plupart dorment sans se rendre compte de rien. J’y pense. J’entends aucun coup de feu. Normalement si les flics canardent, ça devrait s’entendre. Peut-être qu’ils sont aussi planqués. Ils attendent. Ou alors ils ont tous été bouffés. Dans le pire des cas, je peux sûrement récupérer un flingue. Oui mais si les balles servent à rien. Une bastos dans le ciboulot, ça doit être efficace. Comme dans Resident Evil.
Faut que je m’arrête pour souffler. J’aurais dû faire plus de sport et moins picoler. Bon, vaut mieux adopter une marche rapide. Je tourne le coin. Craignos, des zombies sur le trottoir d’en face ! Ils sont agenouillés autour d’un corps. Ils le bouffent.
Je prends l’autre rue. Ça me fera un détour mais je veux pas finir en plat de résistance. J’adresse une nouvelle prière au Seigneur. Je jure de faire tous les jours le ménage à l’agence, de laver toutes les semaines la Buggy d’Enilis, de bazarder mon chapeau melon qu’elle peut pas pifer, de lui porter ses sacs quand elle fait du shopping.
Le monstre à quatre pattes a surgi au bout de la rue. Il tourne sa tête difforme et écorchée vers moi. Je deviens molle dans les jambes.
Il cavale vers moi. J’arrive pas à bouger. Je tends les mains en avant. Sa gueule baveuse garnie de dents énormes se referme sur ma main droite.
J’ouvre les yeux. Il fait à moitié jour. Je suis allongé sur un banc en bois. Un caniche me mordille la main.
Putin j’ai rêvé ! C’était un cauchemar ! Merci Seigneur !
Je caresse le clebs. Il insiste pour me mordiller la main. Je suis dans le parc. Le ciel est coloré de lueurs roses et orange. Je capte. J’ai quitté le bistrot après minuit. Comme j’en tenais une, je me suis allongé sur un banc dans le parc et j’ai roupillé.
Tiens, viens voir toi ! J’agrippe son collier serti de verroterie brillante. Lis sur une petite plaque doré : « Waako ». Le caniche de Lady Daisy Levallois ! Décidément, Blue avec son chapeau melon, c’est plus mieux que Columbo avec son imper.
Hé mais ça a pas l’air du toc ! On dirait des vrais petits diams ! Ouaaaiiis, hop ! J’enlève ! J’empoche !
Lady Daisy roupillait encore. La servante l’a réveillée. La vieille avait les larmes dans les zoeils en retrouvant son Waako.
— Oh le petit fripon, qu’elle a dit, tu as perdu ton collier. Ça fait rien, je te mettrai celui avec les rubis et les émeraudes. Va falloir que je monte un plan de kidnapping de clebs.
J’ai pris le chèque avec un sérieux professionnel grave et contenu. Ça me payera les magazines paumés. Et j’ai chanté :
— L’agence Blue toujours à votre service !
Hein ? Quoi ? J’ai oublié Enilis ? Vous êtes sûrs ?
7h28 ! Le temps de siffler une tasse de bière et un bock de café dans le snack, de mâchouiller dans un croissant fourré aux amandes, je me pointe à l’agence après 8h.
Enilis passe l’aspirateur. J’étais prêt à le faire, je le jure ! Mais comme elle semblait bien lancée, j’ai pas voulu interrompre une joie.
J’attends qu’elle range l’aspirateur dans le placard, pour demander par pure courtoisie :
— Comment va ta mère ?
— Elle s’est calmée. Elle va faire une cure de repos.
— Cool.
Vous noterez la sobriété de mes propos, contribuant à générer un climat de bonne entente. J’ajoute :
— Tu as passé une bonne soirée ?
— Une migraine. J’ai pris deux doliprane et je me suis couché. Et toi ?
— Euh, télé et dodo aussi.
A 8h17 le ciel se voile soudain et une pluie soutenue dégringole en rafales de guns. La Buggy garée devant l’agence est lessivée. J’étais prêt à passer un coup d’éponge, mais là c’est fait maintenant.
— Au fait, que je dis innocent, j’ai croisé lady Daisy Levallois avant, elle promenait son caniche. Il est revenu tout seul. Donc plus besoin de le chercher.
Le souci du détail. Des fois je m’embrasserais bien à la folie.
Enilis ne semble accorder aucun intérêt à cette information. Elle ramène un damier et des pions blancs et noirs. A mon avis elle a pas digéré la partie de Uno d’hier, et elle veut se rattraper au jeu de dames. Promis, je perdrai pour lui faire plaisir. Je lui dois bien ça. Ah oui, pour le shopping, je sortirai la poubelle, une fois, comme ça ce sera bon.
Le jeu de dames, encore des filles ! Décidément, je suis poursuivi. Je joue au pif.
Dix minutes après, j’hallucine. Le bol ! Je peux prendre quatre pions d’un seul coup, je fais une dame et j’augmente mes chances de gagner de 98,7 %. Oui, mais j’ai promis de perdre. J’ai une promesse faite au Seigneur à tenir. Gasp !
Couic Nini or no to couic Nini, that is the question ! Choix diabolique ! Que faire ?
Clac ! Clac ! Clac ! Clac !
— Et une dame !
Ouais, j’ai pas pu résister ? Rien que pour voir la tête dépixelisée de Nini. Wouarf ! Trop cool ! Bon, du coup, vu le pacte avec le Seigneur brisé, je peux continuer à picoler et mater les Japonaises. Et garder mon chapeau melon. Ben tiens, je l’avais même pas enlevé.
Je sais, j’irai en enfer !